Il y a près de 15 ans, j'ai assisté à une adaptation des Belles endormies au Nouveau Théâtre de Belgique, à Bruxelles. Partant du roman de Yasunari Kawabata, qui raconte les nuits d'un vieil homme dans une maison close où l'on peut admirer de jeunes femmes plongées dans un sommeil narcotique, le metteur en scène avait créé un spectacle onirique qui jouait à fond, et de manière tape-à-l'oeil, la carte de l'érotisme.

Nini Bélanger ne fait pas non plus la prude avec Endormi (e), son adaptation du même roman. Sa façon d'aborder et de montrer les corps vise toutefois moins à créer une atmosphère sensuelle qu'à parler de l'immense solitude des personnes âgées.

Du récit originel, Pascale Brullemans (texte) et elle n'ont gardé que l'essentiel: un homme, ici baptisé Édouard (Michel Mongeau), va passer deux nuits auprès de jolies jeunes femmes (Catherine-Amélie Côté et Caroline Bouchard) dans un établissement tenu par une hôtesse prévenante (Dominique Pétin). Il cherche le sommeil et un peu de chaleur humaine.

Le jeu de Michel Mongeau, digne, retenu et fragile, traduit parfaitement la vulnérabilité d'Édouard. Sa solitude est trahie par le ton de sa voix comme par les gestes nerveux et émus qu'il fait quand il se retrouve devant sa première «belle endormie». Édouard ne touche pas qu'avec les yeux, mais désire vite plus qu'une illusion de relation humaine.

Sa vision du récit, Nini Bélanger la défend avec une grande habileté et une mise en scène d'une grande sobriété. Même dans les passages oniriques, rendus par une judicieuse utilisation de la vidéo. Sa délicatesse en est toutefois une de façade: autant son spectacle est subtil, autant il se révèle cru, direct.

Endormi (e) témoigne d'abord d'un refus de l'érotisme. Point de rouge dans les éclairages, que du blanc. Les draps de l'immense lit qui trône au milieu de la scène semblent de satin, mais noir. Quand Édouard s'y glisse pour rejoindre une (ou même deux) «belles», la metteure en scène n'habille la scène d'aucune musique. Silence total.

Confronté à ces corps jeunes et vieux révélés sans aucun enrobage, plongé dans leur intimité, on se trouve vite dans une position inconfortable: celle de simple voyeur? De témoin d'une histoire? Confronté à une image de la vieillesse qu'on préfère ignorer? Le malaise est réel - le soir de la première, l'assistance retenait son souffle et on entendait distinctement le grésillement des éclairages - et il dure, car Nini Bélanger prend le parti de la lenteur...

Endormi (e) est un objet théâtral un peu distant, avec ces dialogues au ton littéraire et cet effort de lenteur qui, bien que légitime et évocateur, frise l'exercice de style. Mais c'est aussi, et même d'abord, un huis clos dérangeant et très humain. Trop humain pour ne pas reconnaître que le triste destin d'Édouard est celui de bien des âmes dans notre société vieillissante.

ENDORMI (E), mise en scène de Nini Bélanger, avec Michel Mongeau, Catherine-Amélie Côté, Caroline Bouchard et Dominique Pétin. Jusqu'à dimanche, au Théâtre La Chapelle.