C'est ce qu'on appelle une vampiremanie. Alors qu'on le croyait passé de mode, au même titre que ses amis Frankenstein et la Momie tueuse d'archéologues, Nosferatu revient au monde par la grande porte. Que ce soit au ciné, à la télé ou en librairie, les crocs ont la cote et l'hémoglobine inonde le marché.

Au petit écran, la télésérie américaine True Blood s'est imposée comme le plus gros succès de la chaîne HBO depuis The Sopranos. Au cinéma, le film suédois Let the Right One In, le manga Blood: The Last Vampire ou l'étrange Thirst, du Coréen Chan-wook Park ont tous trouvé leur public au cours de la dernière année.

Pas en reste, la littérature s'y met aussi, avec une flopée de romans gravés dans la pierre tombale, qui vont de la bluette romantique (Éternels) à la réédition opportune (Lestat, Journal d'un vampire), en passant par le glamour (Vampires de Manhattan) et le roman d'horreur pure destiné aux adultes (La lignée, de Guillermo del Toro et Chuck Hogan). Sans oublier le nouveau Dracula (L'immortel), écrit par l'arrière-petit-neveu de Bram Stoker, auteur du Dracula original, sorti mondialement la semaine dernière.

L'incroyable succès de la série Twilight y est évidemment pour quelque chose. Avec 45 millions de livres vendus dans le monde, 382 millions de recettes au cinéma, 160 millions en DVD, l'oeuvre de Stephenie Meyer a littéralement relancé la mode du vampire. En quelques années, ses personnages sont devenus les nouvelles pop stars du panthéon adolescent, succédant comme par magie à Harry Potter et à ses inoffensifs amis.

Accros les ados

Faut-il s'en étonner? Depuis Buffy contre les vampires, populaire série télé de la fin des années 90, on sait que le vampire ne fascine plus seulement les adultes, mais aussi les ados. Rajoutez une histoire romantique, avec un amour impossible et deux jolis minois, et vous comprendrez pourquoi Twilight a lourdement confirmé la tendance.

Pour les uns, cet engouement tient exclusivement du fantasme adolescent. Les jeunes filles «capotent» sur le vampire Edward Cullen (Robert Pattinson) comme elles «capotaient» jadis sur James Dean, Edward aux mains d'argent ou Robert Smith, de The Cure. C'est l'attrait de la marginalité, voire du mauvais garçon, qui se confond avec les premières danses hormonales et l'éveil de la sexualité.

Mais ce serait, ajoutent les autres, réduire le phénomène à sa beaucoup trop simple expression. Car au-delà son éternelle charge érotique, le vampire répond aussi aux grandes interrogations de l'adolescence.

«C'est un mythe qui parle aux adolescents parce qu'il les questionne sur des thèmes fondamentaux de l'existence», lance Delphine Gaston, auteure du livre Les vampires de A à Z.

«Le bien et le mal. La vie et la mort. La jeunesse éternelle. Être adolescent, c'est sortir de l'enfance avec la crainte de vieillir. Parce que vieillir, c'est être adulte, avec toutes les responsabilités que cela implique. Ce sont des thèmes universels, me direz-vous. Mais c'est peut-être au moment de l'adolescence qu'on les découvre pour la première fois», souligne Delphine Gaston.

Commercialement consommable

Le bon vieux comte Dracula aurait-il eu le même impact? Poser la question, c'est y répondre. Car si les nouveaux vampires ont du succès auprès de la jeunesse, c'est un peu beaucoup parce qu'ils ont été mis au goût du jour.

Expurgés de leur air horrible et maléfique, ils se fondent désormais dans le monde avec un romantisme exacerbé et une étonnante humanité. Exit les gousses d'ail, les crucifix et les lits-cercueil. Jeune et sexy, le Nosferatu des années 2000 vit en banlieue (Let the Right One In), va au collège (Twilight), boit du sang synthétique (True Blood) ou flirte avec le jet set new-yorkais (Vampires de Manhattan) en multipliant les états d'âme. Pas de doute: on est loin du sinistre personnage se morfondant dans son château.

«On a rendu le vampire commercialement consommable», résume la réalisatrice Izabel Grondin, qui se spécialise dans le cinéma d'horreur et fantastique «On l'adapte à notre modernité pour mieux séduire.»

Une mauvaise chose? Pas nécessairement, estime-t-elle. Car revisiter la mythologie du vampire équivaut à lui donner du sang neuf. «Ça nous sort des clichés», lance la cinéaste.

«Cela permet d'ajouter une pierre à l'édifice, ajoute Delphine Gaston. C'est d'ailleurs toute la beauté des grands mythes. Ils ne sont pas gravés dans le marbre. Ils se construisent sur la durée, par des auteurs qui en font leur propre interprétation. Dans le cas du vampire, je suppose que les créateurs avaient fini par se sentir un peu coincés avec les codes de base. Ne sortir que la nuit, ça limite les options...»

Un contexte favorable

Indémodable, le vampire s'ajuste donc à son époque, quitte à devenir «politiquement correct».

Mais certaines époques lui vont manifestement mieux que d'autres. Selon les «vampirologues», son actuel retour en force s'expliquerait ainsi par un contexte social favorable, qui va bien au-delà du buzz adolescent.

«Le vampire, c'est l'immortalité, explique Izabel Grondin. Or, nous vivons dans une période où il n'y pas de place pour la vieillesse. Ce sujet va donc chercher cette névrose collective qu'on a de vouloir être immunisés contre tout. De vouloir rester jeunes et beaux le plus longtemps possible.»

Auteur de la série fantastique Amos D'Aragon, Bryan Perro va plus loin, en faisant un parallèle avec la dévorante culture capitaliste. «En récupérant ce personnage, les Américains prennent un symbole qui est proche de leurs valeurs, dit-il. Comme les vampires, ils refusent de vieillir. Ils ont des crocs et sucent le sang des autres.»

Reste la part de rêve, essentielle dans un monde en crise et en quête de sens. Comme Harry Potter et le Seigneur des anneaux, le vampire répondrait à notre profond besoin de surnaturel et de mythologie. «Cette mode vient du fait que nous nous ennuyons à mort avec cette téléréalité qu'est notre vie matérialiste», confiait récemment Guillermo del Toro au journal Libération.

Triste constat pour l'humanité. Mais bonne nouvelle pour l'industrie, qui n'a sans doute pas fini d'exploiter le filon. À ce sujet: New Moon, le nouveau film de la série Twilight, sort le 20 novembre...