Montréal peut-elle s'approprier le titre de métropole culturelle? Pas encore. Bien que les bétonneuses et les tracteurs aient envahi la ville pour donner naissance à des lieux mettant l'art aux premières loges, le nombre de projets toujours en friche et l'exode des artistes en dehors des quartiers où ils créent sont autant de dangers qui mettent en péril le développement culturel de la métropole.

Voilà le constat émis dans une lettre par le président de Culture Montréal, Simon Brault. Près de trois ans après la mise en place du Plan d'action Montréal, métropole culturelle 2007-2017, ce dernier tenait en quelque sorte à réaliser le bulletin de la ville en matière de «Culture 101», évaluant du coup les bons résultats comme les piètres performances.

Car plusieurs éléments inquiètent le grand patron de Culture Montréal, qui porte également le chapeau de vice-président du Conseil des arts du Canada et de directeur de l'École nationale de théâtre.

«Presque trois ans après la tenue du Rendez-vous, il faut admettre que les nombreux projets d'infrastructures ont drainé beaucoup de ressources et d'attention alors que les dossiers touchant le développement culturel au quotidien sont restés en friche», écrit-il.

Rencontré par La Presse à son bureau de l'École nationale, celui qui est également auteur de l'essai Le facteur C: l'avenir passe par la culture, précise sa pensée. Il déplore notamment le fait que le développement urbain se fasse trop souvent au détriment des artistes qui se voient parfois chassés de leur lieu de création. Selon lui, le Quartier des spectacles au centre-ville est un exemple patent de cette situation. Pendant que les projets de condos poussent comme des champignons, il se désole devant «l'état de délabrement du boulevard Saint-Laurent qui s'est accentué avec la stagnation du 2-22».

«Il faut qu'il y ait des mesures particulières, pour faire en sorte que les artistes, qui étaient à l'origine de la valorisation de ces quartiers-là, ne soient pas chassés, explique-t-il en entrevue, soulignant du même souffle que toutes les villes du monde ont connu pareil problème.  Il n'y a pas encore assez de lieux qui sont réservés et protégés dans le Quartier des spectacles pour créer. Si on ne fait pas attention, ça va être difficile d'avoir son studio parce que les coûts des loyers montent, parce que les terrains vagues servent plus à installer des commerces ou des condominiums.»

Sa plus grosse crainte: «On a peur que ça devienne un quartier des affaires le jour et de divertissement le soir et que les aspects vivre et créer soient moins là.»

Et cette situation s'applique aussi pour le Mile-End- où l'on a procédé à l'évacuation de dizaine d'artistes, pour des raisons de sécurité, d'un édifice situé rue de Gaspé- et le Plateau, rappelle-t-il. «Si on veut avoir des quartiers qui sont des pôles culturels, il faut que les artistes puissent être là. Le danger, c'est que, chaque fois qu'un quartier devient plus hip dans une ville, ce sont toujours les premiers qui sont repoussés. Si le Quartier des spectacles réussit à faire une ou deux choses très emblématiques, ça enverrait un signal dans toute la ville.»

Exporter la culture

Autre point à améliorer pour faire de Montréal une «métropole culturelle exemplaire»: exporter les oeuvres d'ici et renforcer les tournées internationales. L'offre de spectacles ne cesse d'augmenter. Les compagnies et les institutions font des pieds et des mains pour présenter des programmations alléchantes. Or, en dehors du public montréalais et québécois, cette offre doit trouver preneur. La culture d'ici doit sortir de ses frontières. «Et là-dessus depuis 2007, il n'y a pas eu de progrès important, estime le grand patron de Culture Montréal. On est toujours en train de se battre avec les conséquences des coupes qui ont eu lieu en 2008. Pour Montréal, c'est un dossier absolument important.»

Par ailleurs, Simon Brault tient néanmoins à souligner que Montréal n'obtient pas que des mauvaises notes en matière de culture. Depuis trois ans, il salue la remise à niveau des bibliothèques publiques ainsi que la réalisation de plusieurs projets d'infrastructures et de revitalisation comme le Quartier des spectacles, le Quat'Sous, la Licorne, la Société des arts technologiques (SAT)... Il applaudit également l'implantation du festival Montréal complètement cirque. 

Mais on est loin de la coupe aux lèvres, estime-t-il.

«Il faudra bien plus que des bétonneuses et des beaux discours pour bâtir la métropole culturelle sous ce ciel variable. Il faudra une vision partagée et appuyée par nos concitoyens. C'est donc avec eux qu'il faut parler d'art et de culture à l'occasion de la rentrée», conclut-il dans sa lettre.

Et M. Brault a bien l'intention de continuer à parler du cas montréalais. Il s'envole demain pour le Japon où il donnera une conférence portant sur la version anglaise de son livre No Culture, No Future. Le développement culturel de la métropole risque fort d'être à l'ordre du jour.