Consacrer quatre journées de conférences à la religion dans l'art et la littérature, est-ce anachronique en cette ère profane où dominent les voix de la laïcité? Au contraire, estime Pierre Ouellet, qui dirige le colloque Sacrifiction: Profanation et sacralisation en arts et en littérature, qui se tient du 12 au 15 avril.

«Je suis de ceux qui jugent important de garder la mémoire de l'héritage religieux de notre société. On pense avec les images et les croyances issues de ce legs de 2000 ans», évoque M. Ouellet, professeur titulaire à la chaire de recherche en esthétique et poétique de l'UQAM et cosignataire du manifeste «Pour un Québec pluraliste».

Après 25 ans d'anticléricalisme - et, coïncidence, en même temps que la sortie de Totem de Robert Lepage et du Cirque du Soleil -, le temps est venu de se pencher sur la place que prend aujourd'hui le souvenir du religieux et du sacré dans l'imaginaire québécois.

Si la société québécoise montre la sortie aux symboles religieux, ne sachant trop quoi faire des voiles ni dans quels tiroirs ranger les crucifix, les figures du sacré (bibliques, chamanistes, hybrides) brillent de tous leurs feux dans les représentations artistiques.

«Même si les artistes québécois n'utilisent plus la symbolique de manière unilatérale, elle demeure très présente, de façon homogène. On mélange beaucoup les symboles religieux, comme la croix, avec notamment des symboles de la culture amérindienne. Prenons l'exemple de Serge Patrice Thibodeau, auteur d'origine acadienne qui connaît bien le Moyen-Orient et l'Asie en plus d'avoir vécu au Mexique. On trouve dans son oeuvre des références hybrides à l'islam, au judaïsme, au christianisme, au bouddhisme, à la culture maya, aux croyances précolombiennes. L'art reflète notre société en mutation, qui n'est plus enfermée dans une seule croyance.»

Mythes, rites et poésie

En marge du colloque Sacrifiction, le Musée d'art contemporain sera l'hôte du colloque international Max et Iris Stern: Art + Religion. Artistes, historiens de l'art, commissaires, historiens, anthropologues et autres spécialistes y discuteront du rapport entre religions et pratiques artistiques.

Demain soir, au lancement de la revue Les Écrits, on pourra notamment voir une vidéo réalisée par l'artiste irlandais David Moore, qui s'est inspiré de la Torah, de la Bible et du Coran. «Le sacré a toujours été présent, mais il fait un retour en force chez les artistes depuis quelques années. Aujourd'hui, on cherche une intensité dans la parole qui ressemblerait aux pratiques des prophètes, des prêtres, des griots», souligne Pierre Ouellet.

La montée des intégrismes religieux, ajoute-t-il, est un phénomène prévisible dans un monde qui tend à balayer sous le tapis son héritage religieux. «Certains se tournent vers des sectes et vers l'ésotérisme pour trouver réponse à des questions fondamentales et ancestrales sur nos origines et notre mort.»

Pierre Ouellet revendique une compréhension et une analyse de la diversité religieuse - cruciales dans une réalité multiculturelle - pour saisir les spécificités religieuses et les souches communes qui les relient. Un des postulats qu'il compte défendre, pendant ces quatre jours de colloque, est le rôle de l'art et de la littérature comme «interface entre le religieux et la politique».

«Je crois que le religieux et la politique sont inconciliables: l'un est du domaine de la métaphysique alors que le second concerne le bien commun, la vie publique. Mais la littérature et l'art, avec un pied dans le sacré et l'autre dans la vie publique, permet le passage de l'un à l'autre. Comme au temps de la Renaissance, des grandes fresques de Michel-Ange, des grandes cathédrales et des pièces de Vivaldi, les artistes peuvent de nouveau jouer ce rôle et canaliser les tensions entre les deux mondes.»

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Colloque Sacrifiction: Profanation et sacralisation en art et en littérature, du 12 au 15 avril. Info: www.esthetiqueetpoetique.uqam.ca/actcolsacrprog.htm