Luc Plamondon avait préféré mêler les grands airs de Starmania et de Notre-Dame de Paris plutôt que de les présenter en deux parties distinctes et nous étions sans doute quelques-uns à nous demander s'il avait pris la bonne décision, au moment de l'entracte, hier soir à la salle Wilfrid-Pelletier. Même si Le temps des cathédrales avait bien lancé la soirée, les airs de l'opéra-rock de 1979 signés Michel Berger éclipsaient jusque-là ceux composés par Richard Cocciante pour NDP.

Les orchestrations de Simon Leclerc permettaient pourtant à ces chansons de deux univers différents de se glisser les unes dans les autres sans que cela ne choque, mais les numéros de Starmania emportaient facilement la mise. Peut-être parce que les héros tragiques et cartoonesques de Monopolis sont plus à l'aise à l'opéra, un art qui s'accommode bien des personnages plus grands que nature. Sans doute aussi parce que les musiques de Michel Berger ont une richesse, des couleurs et une diversité qui s'imposent tout naturellement alors que les airs de Notre-Dame de Paris, plus proches de la comédie musicale standard que de l'opéra, rock ou pas, ont davantage besoin du théâtre pour être mis en valeur.

Après l'entracte, le mariage des deux oeuvres s'est avéré très concluant et chacun, chacune des six interprètes a eu droit à son moment de gloire, y compris Marc Hervieux, nettement plus convaincant dans Danse mon Esmeralda que dans Le blues du businessman que le public avait acclamée en fin de première partie. Le clou de la soirée fut, comme dans le Starmania version opéra de Michel Lemieux et Victor Pilon, Le monde est stone de Marie-José Lord. Le moment entre tous où l'osmose entre l'orchestre et la voix était parfaite et un sommet d'émotion que la soprano, très élégante dans sa longue robe rouge, a transformé en grand art.

Il n'y avait ni décor ni véritables costumes, mais les belles projections sur le tulle devant la scène ou sur l'écran arrière - la cathédrale, ses rosaces et vitraux, d'une part, les gratte-ciel de l'autre - étaient suffisamment évocatrices. Avec un minimum d'accessoires, les chanteurs, habilement dirigés par le metteur en scène Daniel Roussel, sont arrivés à composer des personnages bien en chair, surtout le Ziggy de Dominique Côté, la révélation de ce spectacle, superbe d'ambiguïté dans Travesti, et la Stella Spotlight flamboyante et déchirée de Lyne Fortin. Un bon mot aussi pour Étienne Dupuis, très en voix, et Raphaëlle Paquette, qui habitait bien le personnage d'Esmeralda.

À la toute fin, Kent Nagano lui-même est venu rendre hommage à Luc Plamondon, ovationné par le public. Très touché, Plamondon a rappelé qu'il y a 40 ans cette année, il avait écrit 10 chansons pour un concert symphonique de Monique Leyrac avec l'OSM. D'une certaine façon, pour l'auteur, la boucle a été bouclée hier soir, de la plus belle façon qui se puisse être.

Tout ce beau monde remet ça ce soir à Wilfrid-Pelletier.