Roger Tremblay a ri en voyant la publicité de Mathieu Gratton. «Comme la majorité des gens, les farces grasses m'amusent. Il ne faut pas jouer aux vierges offensées», plaide le publicitaire et chargé de cours à l'Université de Montréal, qui s'avoue un peu «amoral».

D'autres jugent ce genre de pub moins drôle. Et moins efficace aussi. «On veut montrer qu'on est cool, qu'il n'existe pas de tabous. Oui, ça attire l'attention. Mais est-ce que c'est vraiment audacieux? Je ne pense pas. Sur internet, 70 % du contenu est lié au sexe. Il y a 420 000 millions de pages liées au sexe», explique Mariette Julien, prof de marketing à l'École supérieure de la mode de l'UQAM, qui publie cette semaine le livre La mode hypersexualisée.

Fausse audace? La Toile abonde en effet en matériel XXX et autres cocasseries pornographiques. C'est toutefois moins vrai pour la publicité, avance Roger Tremblay. «Les publicitaires sont frileux. Le Québec est moins pire que le Canada anglais, mais on reste beaucoup plus prudents que le Japon, l'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Argentine et les autres pays latins.»

Une des raisons, selon lui: les plaintes du public auprès du Conseil canadien des normes de la publicité, qui refroidiraient les agences. «Dès qu'on ose, il y en a toujours quelques-uns pour se plaindre. Je l'ai déjà vécu. L'année dernière, j'ai fait une publicité pour (l'embouteilleur) Daigneau. Elle disait: Tous les gars au bureau tournent autour de la cruche. Et évidemment, il y en a certains qui ont grimpé aux rideaux. À la longue, ça finit par refroidir les annonceurs.»

La pub n'est évidemment pas la seule à utiliser le sexe pour attirer l'attention. Mais elle serait jugée plus sévèrement, soutient Roger Tremblay. «Dans les téléséries, on a beaucoup évolué. On voit des gais s'embrasser, ce qui était impensable il n'y a pas si longtemps. Aux bulletins d'information, on nous montre aussi de la violence crue. On a même vu la pendaison de Saddam Hussein. Mais bizarrement, avec la pub, ça choque encore. Je ne sais pas pourquoi.»

Une hypothèse-minute: serait-ce parce qu'on instrumentalise le sexe pour vendre un produit? «Peut-être, répond-il. Je cherche encore la réponse.»

Extimité

L'«omniprésence» du sexe dans la pub serait le symptôme d'un plus grand malaise, estime Mariette Julien. «Pour décrire le phénomène, le psychiatre et psychanalyste français Serge Tisseron a inventé le mot extimité. Ça réfère au besoin d'attirer le regard sur soi, de se sentir intéressant. On étale sa vie privée en public. On montre tout, y compris sa vie sexuelle.»

Selon elle, des pubs comme celle de Mathieu Gratton sont «dégradantes». Elle avoue qu'elle ne connaissait pas l'humoriste. Il est effectivement loin d'être une vedette de l'humour. Selon les critiques, il n'est pas particulièrement reconnu pour son audace. On le connaît pour ses chansons comico-absurdes dans le défunt duo Crampe en masse, qui a entre autres pondu un disque de Noël. Il a aussi tâté de l'humour de couple dans un spectacle avec son ex, Patricia Paquin.

La pub aura-t-elle réussi à changer son image? Peu familier lui non plus avec l'univers de Mathieu Gratton, Roger Tremblay se contente de juger la pub de façon générale.

Selon ce responsable du séminaire sur la création publicitaire pour l'Association canadienne des annonceurs, il existe cinq critères pour juger une pub. Elle doit mettre le produit en vedette, être originale, pertinente, émotive et simple. «Une pub avec du contenu sexuel ne fonctionnera pas forcément, précise-t-il. Dans le cas de Dominic Paquet, c'est niaiseux. Si on veut se dénuder, qu'on le fasse au complet. Sinon, c'est trop facile. Mais pour Mathieu Gratton, c'est réussi.»