La boîte montréalaise Nú Films, qui a produit plus de 700 vidéoclips musicaux depuis sa fondation en l'an 2000, ferme ses portes ce mois-ci. Son président, Paul Barbeau, consacrera désormais ses énergies au cinéma et à la pub, deux secteurs où il est déjà très actif.

Au bout du fil, Paul Barbeau n'a pas du tout l'air démoralisé. Sa boîte Nú Films, le plus important producteur de clips au Québec, ferme ses portes, mais sur un coup d'éclat: le clip Mr. Hurricane, de Beast, produit pour 25 000 $, est nommé pour un prix Grammy à Los Angeles! Barbeau continuera à produire des longs métrages avec sa boîte Reprise Films, qui planche sur le prochain film de Sébastien Rose mettant en vedette Sophie Lorain (Avant que mon coeur bascule) ainsi qu'un autre projet de film (De grande espérance). Il est également l'un des trois associés de Les Enfants, une boîte de production de pub qui se porte assez bien, merci.

«Je me sens un peu comme Raymond Bourque quand il a gagné la Coupe Stanley: il est temps de tirer la plogue, dit Barbeau. C'est sûr que je ressens un peu de nostalgie, j'ai investi du temps dans Nú Films. C'était une institution dans l'industrie musicale, on a gagné je ne sais trop combien de Félix.»

Nouvelle réalité

Dans les années 80, le vidéoclip s'est imposé comme un outil de promotion obligatoire qui pouvait aussi être une oeuvre d'art en soi, à l'occasion. Mais la crise de l'industrie du disque et l'avènement de l'internet ont radicalement changé la donne.

«On s'est fait proposer de faire des clips pour des artistes internationaux avec des budgets ridicules, mentionne Barbeau. Aujourd'hui, l'industrie du clip, c'est un réalisateur devant son ordi, dans son sous-sol, qui produit avec très peu d'argent parce qu'il n'a pas une structure lourde autour de lui. Évidemment, la facture visuelle n'est pas la même: c'est comme à la télé, où on fait de la téléréalité avec une caméra à l'épaule.»

Musique au second plan

«La musique est devenue secondaire pour des chaînes comme MusiquePlus, constate Jean-Philippe Goncalves, du groupe Beast. On y montre beaucoup de téléréalités et le clip remplit les trous. Pour le premier extrait de son dernier album, Je veux tout, Ariane (Moffatt) a décidé de ne pas faire de clip. De toute façon, ça sert à quoi d'investir autant d'argent dans quelque chose qui risque de se retrouver sur le Net avec une qualité YouTube? Par contre, sur le Net, il y a de plus en plus de clips maison avec de bonnes idées, et qui ont un effet viral.»

Barbeau est convaincu que la nomination de Mr. Hurricane aux Grammys aura des retombées positives pour ses principaux artisans, le réalisateur Benjamin Steiger Levine et l'animateur 3D Josh Sherrett. S'il a un regret, c'est que le vidéoclip ne sera plus l'école et le tremplin de cinéastes en herbe: «Combien de gens sortis de Concordia ou de l'UQAM sont venus faire un stage ici? Des centaines et des centaines! Nú Films attirait des projets de la France, de l'Europe, des États-Unis. Une petite entreprise dans un sous-sol pourra peut-être accaparer le marché québécois, mais elle n'attirera pas de grosses productions. Il y aura donc moins de portes d'entrée pour des jeunes, c'est probablement la plus grosse perte.»