À Montréal, les gens d'affaires ont longtemps moins donné aux artistes que les entreprises établies ailleurs au Canada. Mais le vent tourne: une nouvelle génération de gens d'affaires s'implique en disant qu'ils veulent «avoir du fun» et «tripper». Après-demain, le Conseil des arts et la chambre de commerce remettront les prix Arts-Affaires pour saluer ceux et celles qui ont bâti des ponts entre deux mondes apparemment irréconciliables.

Appelons-la la Génération I. Comme dans iPod, évidemment. I comme individualiste, parfois, mais comme instruite, intéressée et innovante aussi. Multilingue et globe-trotter, cette génération sans complexe ne le cache pas quand elle aime. Intense!

Contrairement à leurs prédécesseurs, qui le faisaient davantage par sens civique, ces jeunes gens d'affaires s'aventurent dans les arts et la culture avec curiosité et passion.

Plusieurs nouveaux programmes en font foi: Bénévoles d'affaires, Arrimages (voir autre texte), ArtsScène, SéminArts, Matière grise, Génération d'idées (un autre I), Jeunes Montréalais pour l'art (l'équivalent des Young Patrons for the arts de New York et Toronto)...

En collaboration avec le Conseil des arts de Montréal, la section montréalaise de l'organisation canadienne Business for the arts, ArtsScène, a organisé avec succès il y a deux semaines une soirée Complice d'affaires, l'équivalent de séances de speed dating entre gens d'affaires et organismes culturels.

«C'était tellement bien organisé, cela a dépassé nos attentes, souligne Claire Voisard, directrice du Théâtre de marionnettes L'Illusion. Nous cherchions quelqu'un pour notre conseil d'administration et trois personnes nous ont elles-mêmes contactées par la suite. C'est nous qui appelons d'habitude et les réponses sont rares.»

Le plus vert des gens d'affaires expérimentés, le brasseur Peter McAuslan, personnalité Arts-Affaires 2008, a bien résumé la nouvelle donne en expliquant l'an dernier que, contrairement à d'autres, il n'avait jamais reçu de formation artistique dans sa jeunesse.

«Mais j'aime les arts parce que c'est le fun», avait-il lancé candidement.

À Montréal, les revenus des organismes culturels et artistiques sont tirés à 21 % des dons et commandites du secteur privé. Ailleurs au Canada, les entreprises contribuent parfois presque au tiers des budgets.

Il existe un retard que tous constatent, mais le vent tourne. Aux Bénévoles d'affaires, les professionnels et entrepreneurs, beaucoup de jeunes, qui choisissent de s'impliquer dans les arts représentent désormais 35 % des adhérents au programme.

«Et c'est en hausse», confirme Ugo Dionne, cofondateur de Bénévoles d'affaires, président de la firme Synesis et récemment élu au CA de Culture Montréal.

«Ça peut paraître cliché, mais les bénévoles disent souvent qu'ils reçoivent plus qu'ils ne donnent, poursuit-il. Du côté rationnel, ils aiment se sentir utiles, mais avec les arts, il y a un côté plus passionnel où les gens retrouvent ce qui les fait tripper.»

Nouvelle richesse

Un bon exemple reste Alexandre Taillefer. Le président du CA de l'Opéra de Montréal - où 30 % des abonnés sont des étudiants - a grandement contribué au sauvetage de l'institution et c'est un collectionneur passionné d'art contemporain.

«Il y a une nouvelle richesse qui s'établit à Montréal, croit-il, des gens qui ont des moyens. Même si ça ne se reflète pas toujours dans les dons et commandites, ces gens s'impliquent à d'autres niveaux. C'est très positif.»

La marque de Montréal

Participation aux conseils d'administration, établissement de plans d'affaires, de marketing ou de communication, partage de connaissances ou de technologies, les gens d'affaires rivalisent d'imagination au sein des organismes artistiques et culturels.

Et c'est un peu la marque de Montréal, cette créativité que l'on retrouve en affaires, dans les secteurs de pointe notamment, et dans les troupes artistiques montréalaises, grandes et petites, qui ont du succès.

«J'ai l'impression qu'on est en train de créer notre propre modèle à Montréal de relations entre les arts et les affaires», note la présidente de la firme Art-Expert, Louise Poulin.

Bref, Montréal est en train de dépasser l'étape où l'artiste cogne à la porte; l'homme d'affaires signe le chèque; les deux se disent merci et adieu!

SéminArts et Matière grise sont deux organismes qui enseignent l'art de collectionner. Mais les demandes sont telles que des ateliers portent également sur le coaching pour artistes, l'histoire de l'art, les coulisses des organismes culturels, le métier de galeriste, etc.

Les barrières semblent tomber, les mentalités évoluer.

«Je me présentais au speed dating avec les gens d'affaires avec beaucoup d'appréhension, avoue Claire Voisard. Maintenant, je vais rencontrer un architecte, un avocat et un planificateur stratégique. J'ai l'embarras du choix. C'est incroyable!»