«Minable, maigre, médiocre...» Dire que le compositeur Michel Legrand n'aime pas le documentaire réalisé à son sujet par la maison de production montréalaise Artplus est un euphémisme. Au point où il vient d'intenter une poursuite en dommages contre Artplus, dirigée par l'ex-Baronet Jean Beaulne.

«J'en suis attristé. Je n'ai rien à me reprocher. Je suis obligé d'aller en cour avec mon idole, ça me fait bien de la peine. J'admire beaucoup son talent, mais là, j'aime un peu moins son caractère», a indiqué Jean Beaulne, que La Presse a joint par téléphone hier. «J'ai 68 ans, et aujourd'hui j'ai le goût de pleurer», a-t-il ajouté.

Legrand reproche au producteur Jean Beaulne de ne pas l'avoir consulté comme c'était entendu et d'avoir montré le documentaire aux États-Unis, en septembre dernier, sans son approbation. L'affaire a commencé en mars 2006. Moyennant le paiement de 50 000 $ à Michel Legrand, Beaulne avait obtenu le droit exclusif de réaliser un documentaire sur la vie et l'oeuvre du prolifique compositeur français, auteur de musiques de film et de chansons à succès qui a remporté de nombreux honneurs.

Legrand était enthousiaste quant à ce projet qui venait souligner ses 50 ans de carrière en 2009. Dans les documents produits au palais de justice de Montréal, il raconte que, avant le début du tournage, il a accordé au producteur une longue entrevue filmée dans laquelle il racontait sa vie. Il dit aussi avoir participé à plusieurs autres entrevues par la suite et avoir demandé à de grands noms du milieu artistique de participer au documentaire, comme Barbra Streisand, John Voight et Tony Bennett.

Legrand affirme que, malgré ses demandes répétées, il n'a jamais pu voir les rushes du documentaire.

Finalement, en septembre 2008, il a pu assister à une projection privée à Paris. Legrand en est sorti bien déçu. Il a trouvé que les arrangements étaient médiocres, qu'il y avait trop peu d'images d'archives, trop peu d'images de ses récents concerts et aucune image de sa vie de tous les jours - il aurait voulu qu'on le voie en train de faire de la bicyclette, de piloter son avion, de jouer à la belote.

«Ce documentaire ne doit pas seulement communiquer au public les éloges de mes pairs à mon égard mais raconter ma vie de musicien et de compositeur et, surtout, faire connaître l'être que je suis», a expliqué Legrand dans une lettre au producteur.

Jean Beaulne aurait fait valoir qu'il s'agissait d'un brouillon qui allait être retravaillé. «Je ne donnerai jamais mon approbation à un document audiovisuel d'une telle médiocrité qui constitue une atteinte à ma personne et au travail de toute une vie», a écrit Legrand à Artplus dans les mois suivants. Il soutient qu'il a encore été tenu à l'écart par la suite.

Projection à New York

Legrand affirme avoir appris avec stupéfaction, en septembre dernier, que le documentaire intitulé Michel Legrand Is Music était présenté au Coliseum Theater, à New York. Legrand et son éditeur, Warner Chappel Music France, ont mandaté des avocats québécois pour intenter une poursuite de 340 000 $ en dommages-intérêts et demander une injonction pour faire cesser la diffusion.

«J'ai reproduit en images exactement ce que Michel Legrand m'a raconté. Ça ne montre que sa belle carrière. S'il voulait autre chose, il n'avait qu'à nous raconter autre chose. Après que le film a été fini, il a décidé qu'il voulait se voir jouer au tennis, à la belote... Avant de le voir jouer à ça, les gens veulent savoir ce qu'il a fait dans la vie. J'ai montré tout ça. Je l'ai entouré des plus grands noms», dit M. Beaulne, visiblement malheureux de la tournure des événements.

Il considère les commentaires de Legrand comme très injustes et assure avoir tenté d'établir une relation d'affaires amicale avec Legrand. «Le rêve de ma vie, c'était de faire un documentaire international. Tout le monde dit qu'il est extraordinaire. C'est malheureux à dire, mais les artistes qui deviennent de grandes stars, souvent, ils deviennent imbus d'eux-mêmes; il ne faut pas déranger leur ego», conclut M. Beaulne.

Hier, devant la juge Manon Savard, les parties se sont entendues sur certains aspects pressants du dossier. Elles doivent se revoir le 9 février. En attendant, le documentaire ne sera pas diffusé.