La célébrité n'est plus réservée aux adultes. Qu'il s'agisse d'Aurore ou d'Aurélie Laflamme, le nombre de films et d'émissions mettant des enfants en vedette ne cesse d'augmenter depuis que le cinéaste Rock Demers a brisé la glace avec ses Contes pour tous, dans les années 80.

Et le phénomène transforme l'industrie. Il y a 20 ans, quatre agences artistiques représentaient les jeunes comédiens québécois. Aujourd'hui, elles sont une quinzaine, affirment les gens du milieu.

Kaboum, Ramdam, Sam Chicotte... La mode des émissions jeunesse remplies de jeunes a visiblement un effet d'entraînement.

Linda Cadieux, qui dirige l'agence montréalaise La Bulle depuis une quinzaine d'années, représente annuellement entre 80 et 150 enfants. Chaque jour, elle reçoit une vingtaine de nouvelles demandes d'auditions sur son site internet.

La hausse se vérifie aussi auprès de l'Union des artistes (UDA). Depuis cinq ans, le nombre de membres âgés de moins de 18 ans a augmenté de 21,7 %, passant de 101 à 129 - une mince proportion de tous les enfants représentés par les agences, et qui espèrent percer à leur tour.

Voir autant de jeunes au petit écran «amène les enfants à se projeter dans cet univers-là et à avoir envie de le faire», commente Marie-Hélène Fortier, productrice déléguée de l'émission Kaboum, diffusée à Télé-Québec.

Aujourd'hui âgée de 10 ans, la jeune Alice Morel-Michaud (vue dans Kaboum, Nos étés, et Chroniques d'une mère indigne) a manifesté très jeune son intérêt pour le petit écran. «Elle avait 3 ans et elle nous demandait comment faire pour être là-dedans!» raconte en riant son père, Vincent Morel.

Aux États-Unis, les chercheurs observent par ailleurs un lien entre le désir de célébrité et l'omniprésence des émissions de téléréalité. «Quand on est enfant, on se perçoit comme étant au centre du monde et on croit tout naturellement qu'on va devenir une personne célèbre, explique le psychologue Jeff Greenberg, joint par La Presse à l'Université de l'Arizona. On veut être un joueur de baseball ou un chanteur comme nos idoles... Alors le désir de célébrité qu'engendre la téléréalité tombe dans un terreau fertile.»

Chronomètre et tablier

Chose certaine, les producteurs y gagnent. Car embaucher des enfants acteurs rend les personnages plus crédibles. Les jeunes spectateurs s'aperçoivent rapidement que quelque chose cloche quand un comédien âgé de 20 ans incarne un ado de 12 ans, observe Ève Tessier-Bouchard, productrice du Club des doigts croisés.

Ces futures vedettes bouleversent par contre les méthodes de travail. Surveillance étroite, pauses chronométrées à la seconde près et gestion des microbes font partie de la réalité, avec les jeunes acteurs.

La Presse l'a vérifié sur le plateau de tournage de Sam Chicotte, où des acteurs de 12 ans incarnent les rôles de Sam (Jérémy St-Onge), Alice (Romane Denis), Edgar (Alexis Boily) et Gaël (Georges-Édouard Imbeault). Cachés dans une cabane juchée dans un arbre en studio, Jérémy, Alice et Gaël se donnent la réplique. Les caméras filment par les fenêtres. À plusieurs mètres, assise à sa table de travail, la réalisatrice Pascale Cusson observe les enfants sur deux grands moniteurs.

Il faut rejouer une scène. «On se concentre, les copains, s'il vous plaît!» exige la réalisatrice d'un ton ferme et maternel à la fois. Georges-Édouard - alias Gaël - se trompe. «C'est pas grave, Georges-Édouard. Prends ton temps», lui lance Liane Simard, spécialiste en coaching, qui sert de tutrice et de confidente aux enfants. Elle connaît leurs textes sur le bout des doigts et leur souffle parfois les répliques.

La réalisatrice s'apprête à reprendre la scène. «Les enfants doivent être en pause dans trois minutes», lui rappelle aussitôt son assistante. Pendant ce temps, Liane Simard fait répéter Georges-Édouard. On rejoue la scène. Voilà, c'est fait. L'heure de la collation a sonné. Les jeunes ont droit à 10 minutes. Chronomètre en main, l'assistante-réalisatrice le déclenche très précisément au moment où ils passent la porte. Jérémy et Georges-Édouard sortent les premiers, suivis de Romane, le bras autour de la taille de Liane Simard, qui lui pose un baiser sur la tête.

«N'oubliez pas de mettre vos chemisiers pour manger», leur dit-elle, sans doute pour la énième fois. Pour éviter de salir leur costume, les comédiens doivent revêtir de vieilles chemises trop grandes. Si cette façon de faire va de soi pour leurs aînés, les préados, eux, sont parfois réfractaires à l'idée de porter un «tablier».

Après avoir avalé un bol de soupe et quelques sandwiches, les jeunes regagnent le studio, leur coach sur les talons. Sur le plateau de Sam Chicotte ils sont visiblement traités aux petits oignons. Si toutes les productions n'en font pas autant, elles sont au moins tenues de suivre les règles de l'UDA lorsqu'elles embauchent des enfants (voir encadré). Et pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'abus, l'Union effectue des «visites-surprises» sur les plateaux. Entre janvier et mai, elle en a fait une trentaine et aucun problème n'a été détecté.

« On se substitue aux parents, on a la responsabilité de gérer les jeunes sur le plateau et également en dehors, précise Ève Tessier-Bouchard, productrice du Club des doigts croisés. Parfois, on est obligé de dire: «Lâche le chocolat!» Je leur ai même donné un cours de lavage de mains et d'hygiène de vie.»

«Les jeunes n'ont pas un système immunitaire aussi fort que les adultes, explique la productrice. Il y en a toujours un qui a un rhume, une gastro, une sinusite. On a acheté une quantité incroyable de Purell!»

Les jeunes comédiens ont beau être maternés, la discipline est de rigueur. La veille d'un tournage, les jeux vidéo tard dans la nuit, les soirées chez des amis ou l'orgie de sucreries sont interdits.

«Ils ont des contrats de professionnels et on s'attend à ce qu'ils aient une certaine rigueur, souligne Ève Tessier-Bouchard. Ils doivent être à l'heure, en forme. Ça doit faire partie de leur vie comme ça fait partie de la vie d'un jeune athlète. Il ne faut pas faire de la télé seulement pour briller dans la cour d'école.»

- Avec la collaboration de Mathieu Perreault

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Voyez, en exclusivité sur Cyberpresse, un extrait de La guerre des tuques...25 ans après, un documentaire qui sera présenté le 3 octobre à 17 h 45 à Super Écran. À voir aussi une entrevue avec Yvonne Laflamme, qui a interprété la première Aurore au cinéma en 1952 et des extraits des films et émissions mettant en vedette nos jeunes interviewés