Avant Les hauts et les bas de Sophie Paquin, il y a eu les hauts et les bas de Juliette Gosselin. En 2005, la mère de Juliette Gosselin reçoit un appel de l'équipe de production de Nouvelle-France. Sa fille est convoquée à une audition pour le premier rôle.

Pas question, répond-elle. Ma fille n'est pas prête, elle n'a aucune expérience, si sa photo vous a été envoyée par notre agence d'artistes, c'était pour de la figuration.

«Moi, j'ai piqué une crise! raconte Juliette Gosselin. Je voulais le faire! Ma mère a rappelé le lendemain, pour dire que oui, j'irais à l'audition.»

Juliette a décroché le rôle, le grand rôle de la petite fille dans le film à gros budget.

«J'ai appelé toute la parenté, tous mes amis. J'avais le rôle, j'avais le rôle!»

Puis, quelque temps plus tard, catastrophe. Le film ne se fait plus parce que le budget n'y est plus.

«Ç'a été l'une des plus grandes déceptions de ma vie», raconte Juliette.

Quand le cinéaste Jean Beaudin a repris le projet, «ma mère et moi n'en avons parlé à personne pendant des semaines».

Cette fois-là, le film a bel et bien abouti. De simple gamine au primaire, Juliette Gosselin a été propulsée au haut de l'affiche d'un film mettant aussi en vedette nul autre que Gérard Depardieu.

Pas facile, psychologiquement, de passer par toute cette gamme d'émotions, même quand tout se passe rondement.

On grandit vite, dans ce milieu, et cela n'est pas sans conséquence, raconte pour sa part Marianne Fortier, qui a joué Aurore. «Certaines amies se sont éloignées de moi parce qu'elles ne pouvaient pas supporter toute l'attention que je recevais. À l'inverse, d'autres, qui ne m'avaient jamais parlé à l'école ou à peu près, ont voulu se rapprocher de moi.»

Est-ce seulement le regard des autres qui change? «Probablement pas, dit Marianne. Moi aussi, je changeais. Je travaillais avec des adultes et je vieillissais plus vite que les autres.»

On grandit vite, mais on reste un enfant, un enfant qui a intérêt à avoir un entourage terre à terre, insiste pour sa part Katherine-Lune Rollet, qui a joué dans Watatatow.

«Quand tu es un enfant et que tu arrives sur le plateau, c'est toi, la coqueluche, dit-elle. C'est comme avoir 50 grands-mères autour de toi. Essaie, après ça, de retourner à l'école, de n'être qu'un élève parmi 27 autres et d'avoir le goût d'obéir quand ta prof te demande d'arrêter de parler! À la maison, pour te ramener sur terre, tes parents ont sérieusement intérêt à te rappeler que c'est à ton tour de faire la vaisselle.»

Line Moreau-Frappier, psychologue scolaire et ex-consultante pour une agence de casting, connaît bien les dangers qui guettent un enfant qui devient populaire du jour au lendemain: les crises de confiance, le stress, la fatigue, la peur du rejet...

«L'enfant peut se remettre en question, se dire qu'il n'est pas assez bon, pas assez beau, relève la psychologue. Il arrive également qu'il ne se sente pas à la hauteur de l'ambition parentale. Il en vient à croire que l'amour est conditionnel à sa performance et à son succès. Et le parent n'est habituellement pas conscient de ça.»

«Le pire qui puisse arriver, c'est des parents qui se nourrissent de la célébrité de leur enfant», confirme Katherine-Lune Rollet.

Ces scènes difficiles

Marie-France Monette, qui a tenu le premier rôle dans L'enfant d'eau, se souvient de tous ses tournages avec bonheur. Pas de pression, que du bonheur. Sauf pour une scène, très appréhendée. «J'avais à jouer une scène sur le thème: Sandrine découvre son corps. J'étais adolescente, je ne connaissais pas grand-chose à la sexualité et je devais jouer ça devant David La Haye qui, lui, avait 27 ans et qui était aussi mal à l'aise que moi!»

Chose certaine, les producteurs doivent viser juste, particulièrement quand il s'agit d'enfants. Il faut trouver un enfant qui colle au personnage et qui, dans le même temps, sera capable de «porter un film sur ses épaules», fait observer Claude Veillet, producteur de plusieurs films pour enfants, dont Aurélie Laflamme, à venir.

«Ça m'est arrivé une fois qu'une petite craque, évoque Claude Veillet. Elle avait eu le rôle mais, une fois les tournages commencés, elle tremblait de tous ses membres et était incapable de retenir son texte. On n'a pas voulu l'éliminer, mais on lui a donné un rôle de moindre importance.»

Pour les auditions publiques d'Aurélie Laflamme, l'été dernier, les 1300 fillettes qui se sont portées candidates croyaient fort, elles, qu'elles avaient ce qu'il fallait.

Malgré les immenses précautions de l'auteure India Desjardins, qui a rappelé à maintes reprises aux adolescentes que la vie est faite d'échecs et qu'elle-même, étant jeune, n'avait jamais obtenu l'emploi chez McDo dont elle rêvait tant, impossible d'éviter les déceptions.

Elle a bien fait d'insister. Parce que finalement, aucune des 1300 filles n'a été prise. L'audition publique n'a rien donné, et c'est finalement en regardant dans la pépinière habituelle - les agences de casting - qu'Aurélie a été dénichée.

Kim Roy-Bergeron, comme les 1300 autres filles, n'a donc pas eu le rôle. Ses parents et elle croyaient tellement en ses chances qu'ils sont partis de la Gaspésie pour l'audition. «Moi et plusieurs autres, on a beaucoup pleuré, dit Kim. Beaucoup de gens disaient que je lui ressemblais, à Aurélie. Si seulement j'avais été moins gênée pendant l'audition...»

Le réalisateur Christian Laurence, qui, pendant des jours entiers, a vu défiler devant lui des centaines d'adolescentes, ne croyait pas, le jour des auditions publiques, que tous ces espoirs déçus soient dramatiques. «C'est ça, la vie. T'as pas mal plus d'échecs que de succès.»

Aussi, comme le dit Juliette Gosselin, qui a décroché le premier rôle dans Nouvelle-France: «C'est plate à dire, mais ce n'est pas tout le monde qui est doué pour ça.»