Plus de 20 ans après le mythique Kutche, album qui a révélé au monde la face rock de l'Algérie, Khaled est toujours là. Le plus éminent interprète du raï fait le point sur ses dernières réformes esthétiques et clarifie une récente prise de position controversée au sujet du conflit israélo-palestinien.

Khaled, qui a été le cheb des chebs à l'époque où le raï a été révélé à l'Occident et que les noms de ses interprètes étaient invariablement précédés du mot cheb (qui signifie jeune), se fait rare en Amérique. «Le monde est grand, j'ai fait pas mal de tournées, mais peu de dates en Amérique du Nord. On boude des fois... Et des fois on veut revenir sur de bonnes bases», dit Khaled Hadj Brahim, joint à son appartement au Luxembourg.

 

Sur le continent nord-américain, une seule date a été bloquée cet été, aux FrancoFolies de Montréal, et la prochaine est prévue en novembre à Las Vegas - Khaled prendra part au spectacle Sahara dans le désert du Nevada. Il en sera l'une des têtes d'affiche avec la diva syrienne Assala et la pop star irakienne Rida Al Abdulla.

«C'est la première fois qu'un Maghrébin participe à une telle manifestation en Amérique du Nord. J'espère avoir la force de satisfaire tout le monde», commente Khaled, non sans fierté.

Il risque fort d'y parvenir avec la matière de Liberté, son plus récent album. Plus acoustique, moins rock, plus proche des racines. Plutôt libre, en effet. «Je pense qu'on a besoin de crier assez fort cette liberté, ce besoin de mieux passer le message. Depuis que je suis petit et que je connais cette musique, je n'ai pas froid aux yeux: je veux vivre et j'ai envie de vivre libre. Cette musique raï, dans le temps, était mal vue, un peu interdite. Mais quand elle s'est lâchée, elle s'est mariée avec tout le monde.»

Liberté est effectivement un album de grande maturité. Les dernières réformes de Khaled s'avèrent à la fois roots et raffinées. «Ma musique doit toujours être de plus en plus recherchée, estime le principal intéressé. Dans mon orchestre, par exemple, j'ai aimé intégrer le luth (oud) et les cordes (violon et violoncelle), qui s'ajoutent aux percussions traditionnelles et à l'instrumentation rock. Chaque musicien du groupe est capable, d'ailleurs, de jouer deux instruments différents. Je voulais faire la jonction avec le rock, mais sans le côté hard. Avec une douceur, quoi. Je voulais aussi refaire des musiques de ma région, car j'appartiens toujours au Maghreb. Dans cette optique, par exemple, j'ai repris des airs gnawas, cette musique transe qu'on trouve à Marrakech ou à Oran. La transe qui fait guérir, l'exorcisme...»

Choisir son arme

Enfant terrible d'Oran, transplanté à Paris depuis les années 90, Khaled s'est installé au Luxembourg. «J'y ai trois petites gonzesses, je voulais un peu sortir de la foule tout en restant au coeur de l'Europe. Un peu de liberté familiale dans un petit patelin...Vivre en paix, quoi.»

Khaled se dit d'ailleurs partisan de la paix. Or, en janvier dernier, alors qu'Israël bombardait Gaza, le quotidien algérien Ennahar a écrit que le chanteur avait affirmé être «prêt à prendre les armes pour aller combattre à Gaza».

«J'ai été surpris, confie Khaled. Parfois on déforme mes propos... Mais il fallait quand même parler des innocents! Ce que je voulais dire vraiment? C'est qu'il fallait réaliser les horribles choses qui se produisaient à Gaza, les civils encerclés, les enfants tués, les hôpitaux détruits. La bombe, elle, ne choisit pas qui elle tue, la balle ne choisit pas la personne. Maintenant, il n'y a plus de respect. Maintenant, on tue les enfants et on fait sauter les hôpitaux.»

On lui repose la question: prendre les armes? Khaled déclenche un rire dont on ne sait s'il est empreint d'ironie ou de nervosité. «Prendre les armes alors que j'ai toujours refusé de faire le service militaire, car je ne pouvais m'imaginer tirer du fusil? Mes armes, c'est ma voix, mes chansons, ma musique. Je veux la paix, l'amour, le bonheur, je veux casser les frontières. Point barre.»

Khaled se produit demain, 21h, Place des festivals, dans le cadre des FrancoFolies.

EN UN MOT

L'enfant terrible d'Oran est encore et toujours LA voix du raï moderne et de la musique populaire maghrébine.

ALBUMS ESSENTIELS

KUTCHE

Créé en 1988 avec Safy Boutella et Martin Meissonnier, Kutche est considéré comme le disque charnière du raï, tel qu'on l'a connu ensuite en Occident. L'esprit rock qui s'en dégage est tout simplement explosif.

LIBERTÉ

En 2009, Khaled renoue avec le réalisateur Martin Meissonnier, mais dans un contexte plus proche de la grande musique maghrébine. Oud, cordes, percussions traditionnelles confèrent à la voix de Khaled une facture de crooner des plus sophistiquées.