Clémence DesRochers est parmi les six lauréats qui doivent recevoir vendredi le prestigieux prix du gouverneur général pour les arts de la scène, mais cela ne l'empêche pas de critiquer le gouvernement conservateur qui a réduit l'aide financière à la culture.

«Harper n'a pas l'air de considérer les artistes comme des gens importants», a vivement déploré la poète et monologuiste québécoise, qui n'entend toutefois pas intervenir sur ce point lorsque la gouverneure, Michaëlle Jean, lui remettra son prix lors d'une cérémonie à Rideau Hall.

En entrevue à La Presse Canadienne, elle n'a toutefois pas mis de gants blancs. «Il est essentiel de ne pas laisser tomber les artistes. Si on n'avait pas les artistes, la vie serait mortelle», a ajouté Mme DesRochers, pour qui l'aide financière des gouvernements fait partie des choses «intouchables».

«En cinéma, par exemple, il faut de l'argent pour faire de bons films, a-t-elle dit. Il faut comprendre que certains projets sont refusés. Mais beaucoup d'artistes ne travaillent pas. Ils mangent leurs chaussons», a signalé l'auteure de La vie d'factrie et de Je ferai un jardin.

Clémence DesRochers, ainsi que l'Acadienne Édith Butler, doivent recevoir la plus haute distinction canadienne pour les disciplines scéniques. Ce prix, qui souligne leur contribution sur le plan culturel, est aussi accordé à Robert Lepage qui, absent vendredi, l'avait déjà reçu il y un mois. Il avait alors écorché le gouvernement Harper sur la question des compressions dans le financement des artistes qui présentent leurs oeuvres à l'étranger.

Le compositeur et écrivain R. Murray Schaffer, la danseuse et chorégraphe Peggy Baker, ainsi que l'auteur George F. Walker, sont les autres lauréats.

Celle que l'on appelle familièrement Clémence, de même qu'Édith Butler, ont eu un parcours différent mais les deux ont reconnu, dans des entrevues distinctes à La Presse Canadienne, qu'il a fallu bûcher pour parvenir à faire une longue carrière artistique.

Clémence DesRochers parle à la fois de «moments durs» et d'autres «pleins de joie».

«Pendant 50 ans, il y a eu beaucoup d'heures de solitude car j'écrivais seule mes poèmes, chansons, monologues, un travail solitaire», a relaté l'artiste.

Sur sa longue feuille de route, celle qui a débuté à la fin des années 1950 a été l'une des rares à aborder des thèmes sérieux comme la vieillesse, la maladie, la mort.

«J'ai écrit comme une femme, en parlant de mon vécu», a affirmé celle qui ne se gêne pas pour dire crûment les choses mais avec de bonnes doses d'humour.

Édith Butler aussi tient à remettre les pendules à l'heure alors que trop souvent, on pense que les artistes vivent dans l'opulence. La chanteuse de Paquetville, en pays acadien, n'a pas peur de dire qu'elle ne l'a pas eu facile.

«Je suis pleine d'entrain mais il faut savoir que la vie est constituée de hauts et de bas, a-t-elle mentionné. Tu composes avec des difficultés, comme tout le monde. On a des critiques. Ce n'est pas toujours rose dans ce métier».

«Tu as deux heures de gloire mais le reste de la journée, les 22 autres heures, tu as ta vie. Tu changes des draps et il y a vaisselle à faire», a illustré Mme Butler.

Clémence DesRochers a vécu dans un monde où la poésie prenait beaucoup de place. «J'ai hérité ça de mon père, toucher la beauté, la nature ou la folie», a affirmé la femme polyvalente qui a toujours été forte sur les rimes et qui refuse de se qualifier d'humoriste.

Après avoir enseigné pendant un peu plus d'un an, Clémence DesRochers a bifurqué, préférant les petites boîtes culturelles aux classes d'école.

«J'ai essayé d'enseigner ou être comédienne mais ce que je voulais, c'est d'être sur une scène. Quand tu as la foi et la rage, tu y arrives», a-t-elle confié, un conseil qui pourrait être livré aux jeunes tentés par le métier.

Idem pour Édith Butler qui a déménagé souvent pour étudier (Moncton et Québec) ou travailler (à Radio-Canada Moncton et Halifax) avant de se frayer un chemin musical. «À une époque, il n'y avait pas de boîtes à chansons ou de théâtre en Acadie alors qu'aujourd'hui, tout est tellement structuré que l'on a de la misère à s'insérer à quelque part», a dit en souriant Mme Butler.

Elle aussi, à l'instar de Clémence, s'est beaucoup inspirée de ce qu'elle vivait, ressentait, pour chanter et parler aux gens.

Outre la scène, Clémence DesRochers a participé à des téléromans célèbres dont Les Plouffe» ou des films comme La grande séduction.

Ces deux francophones sont bien heureuses d'obtenir un prix pour l'ensemble de leur carrière.

«C'est toujours agréable de recevoir une reconnaissance pour son travail», a dit Clémence, qui aura une pensée pour son père poète, Alfred Desrochers, qui lui, n'a pas été reconnu. «C'est une façon de le venger».

Pour Édith Butler, «c'est comme un baume sur mon coeur. Cela signifie que ce j'ai fait a été correct. C'est un gros cadeau pour dire merci», a expliqué celle qui, avec la parolière Lise Aubut, a concocté pas moins de 250 chansons qui se sont retrouvées sur 27 albums.

Édith Butler, 66 ans, continue d'avoir un ordre du jour chargé jusqu'en 2010, dans le cadre de ce qu'elle appelle une «dernière tournée» et non une tournée d'adieu, expression qu'elle refuse.

Pour sa part, Clémence a fait assez de scène et prend désormais le temps de vivre. Pour ceux qui ont raté son dernier show, «ils n'ont qu'à acheter mes produits dérivés», a-t-elle conclu, mi-sérieuse, mi-blagueuse, comme elle l'a fait si souvent dans sa carrière.