Pierre Lebeau me rejoint au Café Cherrier. Le comédien, porte-parole du 25e anniversaire de Suicide Action Montréal, me rencontre dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide. Au Québec, le suicide est la première cause de décès chez les 20-34 ans.

Marc Cassivi: Juste avant notre rencontre, je suis allé voir Polytechnique, qui traite du suicide. C'est brutal, mais c'est un excellent film.Pierre Lebeau: Tant mieux. Honnêtement, j'avais des réserves. Je me demandais avec tout ce qu'on a lu, vu et entendu là-dessus - les témoignages de parents des victimes -, si c'était une bonne idée.

M.C.: Le traitement est très sobre, très digne.

P.L.: Est-ce qu'on sort de là en ayant appris quelque chose de nouveau? En ayant une impression nouvelle sur les événements?

M.C.: Peut-être pas, mais je pense que c'est un film qui fera oeuvre utile, pour les jeunes entre autres.

P.L.: On a tendance à penser, parce qu'on connaît les événements, que les générations futures vont nécessairement les connaître. Je suis toujours extrêmement surpris de constater ça chez les jeunes. On se targue de beaucoup de pérennité, de la transmission du savoir, mais ce ne sont souvent que des mots. On oublie trop rapidement.

M.C.: J'ai l'impression que Polytechnique peut jouer ce rôle-là. C'est aussi un film sur le suicide. Lépine, même s'il a entraîné 14 femmes dans son délire, finit par se suicider. Il aurait pu se suicider avant d'aller à Poly. Il était dans un état d'esprit sans issue. Sauf qu'il était fou et qu'il a décidé d'en faire un manifeste.

P.L.: Tu n'as pas l'impression qu'on a fait de cet événement quelque chose d'emblématique alors que c'était plutôt anecdotique?

M.C.: Je ne sais pas. Ça reste un acte isolé, mais avec une telle portée...

P.L.: D'en faire un emblème suppose que le germe de la violence est présent chez tous les hommes ou chez la plupart des hommes. Pour ma part, je crois plutôt que c'est un geste anecdotique. Entendons-nous bien, ce n'est pas banal. Mais c'était quelqu'un de malade.

M.C.: Sauf qu'il a voulu en faire un geste politique. Il a voulu être Lortie...

P.L.: Quand je dis anecdotique, je ne veux pas dire que c'est une anecdote que 14 personnes aient perdu la vie. Je veux dire que ce n'est pas un fait de société.

M.C.: Je crains la récupération du film par certains. Il y a des questions d'éthique intéressantes qui se posent à propos des oeuvres qui traitent du suicide. Je pense à Tout est parfait, un film sur le suicide des jeunes abordé à mon avis de formidable façon. On n'a pas l'impression, en le voyant, que les jeunes vont s'en inspirer et avoir des idées suicidaires. C'est cru, c'est désolant, il n'y a rien d'inspirant là-dedans. Sauf que le film a été interdit aux moins de 16 ans. Le cinéaste en a été choqué, mais je ne suis pas sûr qu'il avait raison. Il faut savoir où tracer la limite. C'est pour ça que des psys se prononcent sur la question.

P.L.: Il y a une chose qui me frappe dans le discours de beaucoup d'adultes à propos des jeunes. Lorsque les jeunes ont des difficultés, on dit fréquemment que c'est «un problème de jeunes». Le mot «problème» est souvent malmené. Par définition, un problème n'est ni petit ni gros. C'est un problème.

M.C.: À 15 ans, avec son expérience de vie, un petit problème peut devenir un gros problème.

P.L.: C'est extrêmement relatif. Ça ne dépend pas seulement de l'âge mais de sa capacité à supporter les épreuves ou une certaine forme de détresse. Au même titre qu'il y a des gens qui supportent mieux la douleur physique que d'autres. Dire «petit» ou «gros», ça me semble un peu absurde.

M.C.: Il y a deux écoles de pensée sur la médiatisation du suicide. Certains trouvent qu'il ne faut pas en parler, d'autres qu'il faut en parler davantage. Jusqu'où faut-il aller? Le consensus veut qu'on n'en parle pas trop. Ça fait aussi en sorte que le suicide est une question taboue. Je comprends qu'il n'est pas souhaitable que les médias répertorient chaque suicide, mais je trouve que d'une certaine façon, on perd un peu la mesure du problème en taisant ses conséquences.

P.L.: Je suis plutôt d'accord avec toi. Je trouve que d'en parler est une chose, mais que d'y aller d'une pléthore de détails, c'est tomber dans le sensationnalisme. Je pense néanmoins qu'il faut parler du suicide. En parler peut aider. Je croyais que tout le monde connaissait Suicide Action Montréal, qui est ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Semble-t-il que non. Il faut toujours rappeler aux jeunes qu'il y a des ressources pour eux.

M.C.: C'est pour cette raison que tu t'es engagé dans cette cause?

P.L.: Les artistes sont souvent sollicités pour être des porte-parole de différentes causes. Pendant longtemps, j'ai pensé qu'il y avait quelque chose d'absurde à demander à des gens connus, avec une certaine notoriété, d'endosser des causes, comme si sans ce phénomène, les gens ne s'y intéresseraient pas. Je trouvais absurde que les gens s'intéressent à un phénomène par procuration, en quelque sorte. Ce n'est pas moi qui vais résoudre le problème. Il reste que malheureusement, c'est comme ça. Les gens vont prêter davantage oreille à une cause s'il y a quelqu'un de connu qui en est le porte-parole.

M.C.: Tu t'es dit que ta notoriété pouvait servir de cette manière-là...

P.L.: On en parlait en début de discussion: c'est très important pour moi le sens de la transmission. C'est important que ma notoriété, aussi petite soit-elle, puisse apporter quelque chose à quelqu'un. C'est important aussi quand je travaille. Il m'arrive fréquemment d'être sur un plateau de tournage et de voir arriver un jeune de 20 ou de 22 ans qui sort de l'école et qui est impressionné, voire terrorisé par une première expérience. J'essaie de le mettre à l'aise, de lui traduire le jargon technique. Pour moi, la transmission se fait dans les idées, évidemment, mais aussi dans l'aspect pragmatique des choses. En étant capable de bien accomplir quelque chose, on est ensuite en mesure de bien y réfléchir.

M.C.: Tu parles de la transmission du savoir dans le cadre de ton métier, d'une expertise que tu as acquise au fil des ans, mais est-ce différent lorsque tu es porte-parole d'une cause dont tu n'es pas un spécialiste?

P.L.: Oui. J'essaie de me mettre dans la peau des gens qui connaissent peu ou pas l'organisme et d'en sortir les grandes lignes. Sans aller trop dans les statistiques, parce que d'une part, je risquerais de faire des erreurs. Ce que je sais, c'est qu'il y a trois personnes par jour qui se suicident au Québec. Une cinquantaine d'autres font une tentative. Le groupe d'âge le plus touché est les 29-55 ans, chez les hommes principalement. Chez les jeunes, les conflits familiaux, l'orientation sexuelle sont des facteurs très importants, comme la réussite scolaire ou professionnelle. La réussite est un moteur très puissant dans l'appréciation que l'on peut avoir de soi-même. C'est une grande roue qui tourne.