Finaliste de la première mouture de Star Académie en 2003, Marie-Élaine Thibert n'a pas cessé depuis d'être le chouchou du grand public. Dès qu'elle annonce un spectacle, c'est la ruée aux guichets pour cette toute petite bonne femme à la puissante voix. Celle qui économise encore pour s'acheter la maison de ses rêves nous revient avec un disque de Noël aux accents Motown et un spectacle assorti. Portrait d'une grande timide qui se soigne.

C'était lors de la toute première répétition des Belles-soeurs, il y a un mois. Marie-Élaine Thibert était assise à côté de moi autour de la grande table où Denise Filiatrault avait réuni une douzaine d'animatrices, de journalistes et de commentatrices en prévision de la lecture publique du classique de Michel Tremblay qui se tiendra le 9 novembre dans le cadre d'une soirée-bénéfice pour le théâtre du Rideau Vert.

 

Deux chanteuses, Ariane Moffatt et Marie-Élaine Thibert, ont été invitées par Monique Giroux, la marraine de ce projet, à se joindre à ce groupe volubile et tapageur.

Nous étions donc toutes là autour de la table depuis près de deux heures. Toute petite et toute timide dans son coin, Marie-Élaine n'avait pas dit un mot depuis son arrivée, se contentant de suivre le texte avec ses grands yeux clairs en attendant que ce soit son tour d'entrer sur scène sous les traits de Lise Paquette, une petite vendeuse du Kresge qui vient d'apprendre qu'elle est enceinte. Comme le personnage arrive longtemps après le début de la pièce, Marie-Élaine somnolait un peu au moment de sa première réplique qu'elle a ratée de quelques secondes avant de se reprendre en rougissant. Puis est arrivé le moment de son premier monologue, une longue tirade poignante au milieu de laquelle la petite vendeuse s'écrie: «J'sais que chus cheap mais j'veux m'en sortir! Chus venue au monde par la porte d'en arrière, mais m'as donc sortir par la porte d'en avant!»

Lorsque Marie-Élaine a terminé son monologue, tous les regards se sont tournés vers elle. La justesse de ton et la charge émotive avec laquelle elle avait livré ce morceau d'anthologie, avait laissé tout le monde pantois. Toutes en même temps, nous venions de découvrir la force insoupçonnée de cette petite souris incapable de prendre sa place dans un groupe, mais qui ne s'en laisse pas imposer pour autant.

À cette répétition qui se voulait informelle, Marie- Élaine était arrivée préparée comme pas une. Elle avait fait ses devoirs, lu la pièce, regardé le DVD d'une captation datant de 1992 et avait même répété son rôle avec le metteur en scène Joseph St-Gelais, qui lui sert à l'occasion de psy, de coach et de prof de diction. Décidément, cette petite ne laisse rien au hasard.

D'introvertie à épanouie

Je la retrouve un mois plus tard dans un resto du Vieux-Montréal en face du bureau des Productions J, qui assurent toujours sa gérance et produisent ses disques et spectacles. En tête à tête, Marie-Élaine est plus expansive et exubérante qu'en groupe.

«Je suis une enfant unique, explique-t-elle; en groupe, j'ai toute la misère du monde à me dégêner et à m'extérioriser. C'est pour ça que de me retrouver à Star Académie à vivre en vase clos avec 13 autres personnes, ça n'a pas été évident. Surtout qu'il y en avait dans la gang qui étaient des hyperextravertis qui voulaient à tout prix passer à la télévision. Aux trois quarts de l'aventure, j'étais plus capable de les supporter. Heureusement, plus les dimanches allaient et moins il y avait de monde, ce qui faisait bien mon affaire. Wilfred était comme moi. Des fois, lui et moi, on éteignait nos micros pour pouvoir bitcher les autres. J'avoue que c'est ça qui m'a aidée à continuer.»

Tout à coup, Marie-Élaine se rend compte qu'elle vient d'avouer quelque chose qu'elle n'avait jamais dit publiquement. L'espace d'un instant, la crainte d'avoir trop parlé lui traverse l'esprit, puis elle hausse les épaules avec l'air d'une femme de 26 ans qui a décidé de s'assumer coûte que coûte. Cela semble être son credo, ces temps-ci: s'assumer, s'extérioriser, montrer ce qu'elle a en dedans d'elle, prendre sa place.

Évidemment sur scène, comme tous ceux qui ont choisi ce métier-là, elle n'éprouve aucun des problèmes qui semblent la plomber dans la vie. Sur scène, elle est comme un poisson dans l'eau ou, mieux encore, comme une fleur au soleil. Elle pousse, elle s'épanouit. Sur scène, elle mesure au moins deux pieds de plus que dans la vie. Et son succès ne cesse de la faire grandir.

Avec ou sans Star Académie

Mais ce qui est particulier chez elle, c'est que son succès cache toujours et cachera pour longtemps, une sous-question: sans Star Académie, que serait devenue Marie-Élaine Thibert?

«C'est très clair dans mon esprit que je ne serais pas là où je suis aujourd'hui. Le milieu est trop tough. J'aurais mis beaucoup plus de temps, mais ce qui est tout aussi clair, c'est que j'y serais arrivée parce que je le voulais et quand je veux quelque chose, je m'arrange pour l'obtenir. Alors où je serais aujourd'hui sans Star Académie? En train de courir les concours, en train de me chercher un agent ou de gagner ma vie comme choriste.»

En lieu et place, Marie-Élaine a vendu 500 000 disques. Elle est une des rares chanteuses qui, l'année dernière, ont réussi à donner 70 spectacles partout au Québec. C'était peut-être la moitié moins de spectacles que lors de sa première tournée de 145 spectacles, mais c'était plus que la majorité des artistes de la chanson d'ici. Elle s'apprête d'ailleurs à remonter sur scène pendant la période des Fêtes et à présenter un spectacle de Noël au Saint-Denis, au Grand Théâtre de Québec et à La Baie.

Malgré cela, Marie-Élaine n'a toujours pas réussi à s'acheter de maison comme elle l'avait déjà révélé à Tout le monde en parle, un aveu qui avait créé toute une commotion et obligé sa productrice Julie Snyder à s'expliquer.

«Attendez une seconde. J'ai dit que j'avais pas les moyens de m'acheter une maison, mais j'ai jamais dit le prix de cette maison. Moi, je veux une grosse maison à Montréal où je vais éventuellement élever mes enfants. Je veux une cour, un jardin et ça, c'est jamais donné. Cela dit, je ne suis pas pauvre. Je gagne très bien ma vie. Mais s'il y a une chose que je déteste au monde, c'est bien de parler d'argent. Et ce que je déteste encore plus, c'est les conflits que l'argent provoque. Qu'on le sache une fois pour toutes, je ne fais pas ce métier pour l'argent. Je le fais parce que j'aime ça. Et parce que c'est ce que je veux faire depuis que j'ai 12 ans.»

Pas une star d'un soir

Marie-Élaine n'a pas choisi l'exemple de ses 12 ans pour rien. C'est en effet à cet âge-là qu'elle a découvert sa voix. C'était à l'école Pierre-Laporte, où elle était inscrite en violon. À l'occasion du spectacle traditionnel de la Sainte-Cécile, elle a entrepris de chanter un air de gospel pop en anglais. Sa performance a vivement impressionné l'auditoire, lui donna confiance en elle-même et l'a poussée à chanter plus souvent. Entre 14 et 17 ans, elle a traversé une période plus sombre où elle s'habillait en noir et restée enfermée dans sa chambre à écouter du Claude Léveillée, mais elle continuait à chanter tout de même. Puis à 22 ans, après deux ans de sciences humaines et un an de techniques bureautiques au cégep, elle s'est présentée à sa première audition pour Star Académie, convaincue qu'elle n'avait aucune chance.

Sa victoire ne lui a pas fait perdre ses moyens. Au contraire. Déterminée à prouver au public et au milieu du spectacle, qu'elle n'était pas une star d'un soir, elle a mis tout en oeuvre pour améliorer sa performance et a demandé aux productions J de lui payer des cours de chant, des cours de diction et même un cours de la chanson dispensé personnellement par Monique Giroux, qui a commencé par être son mentor avant de devenir sa grande amie. Puis un jour que l'animatrice s'envolait à Paris pour une entrevue avec Juliette Gréco, elle a invité Marie-Élaine à la rejoindre pendant 48 heures pour s'imprégner de culture française et assister au récital de Gréco. Marie-Élaine a accepté avec enthousiasme.

«Ce n'est pas que j'étais une inculte. C'est juste que ma culture musicale était surtout classique à cause du violon. Avec Monique, j'ai découvert Juliette Gréco. Je l'ai même rencontrée. Je suis allée au musée Piaf, dans une maison privée. J'ai vu et touché les vêtements qu'elle portait et j'ai découvert à mon plus grand bonheur qu'elle était exactement de la même grandeur que moi.»

Marie-Élaine aime Piaf presque autant qu'elle aime Noël, une fête qu'elle célèbre en grand autant dans la famille de sa mère que dans celle de son père, mort il y a trois ans. Même si elle ne possédait aucun disque de Noël, à force de se faire demander par son public à quand un disque de chants de Noël, elle a décidé d'en prendre acte. Elle est entrée au studio MixArt en avril dernier avec son chum, le bassiste Remi Malo, chargé de réaliser l'album. Pendant quatre mois, à la chaleur comme à la pluie, elle a enregistré les 12 classiques D'un jour Noël, se payant ici et là quelques petits cadeaux comme cet hommage à John Lennon avec Happy Xmas et un duo avec Gregory Charles avec la version française d'une chanson de Stevie Wonder. C'est Marie-Élaine qui a choisi personnellement toutes les chansons du CD avec le souci de produire un disque qui, sans être révolutionnaire, ne serait pas redondant.

Avant son départ, je lui ai demandé où elle serait dans 10 ans. Elle m'a répondu sans sourciller qu'elle serait connue comme chanteuse dans toute la francophonie, qu'elle aurait fait du théâtre, qu'elle aurait au moins un enfant, un permis de conduire et, bien entendu, la maison de ses rêves à Montréal.