Il était onze heures le soir donnait, la semaine dernière, le coup d'envoi de la nouvelle saison de la salle Fred-Barry. La pièce aurait pu s'intituler «Minuit moins quart» ou «Trop peu, trop tard» tant le ton est à l'urgence. Et à l'échec. Mais de quoi parle-t-on exactement dans cette histoire morcelée sans queue ni tête?

Neuf jeunes dans la vingtaine sont réunis dans une maison de campagne à l'occasion d'une fête improvisée. Leurs hôtes sont deux soeurs. Parmi les autres, il y a deux couples bien établis et des amis. Les discussions, byzantines, tournent court. À quelle heure va-t-on souper? Est-ce qu'on va manger dehors ou à l'intérieur? Est-ce que la table va passer par le cadre de la porte? Bref, on s'en fout.

Tous les personnages se rongent les sangs. Sans que l'on sache exactement pourquoi, ils s'emportent pour un oui, pour un non. Des querelles ici et là ne cessent de ponctuer des dialogues où l'on passe sans sourciller du coq à l'âne (avec des fous rires occasionnels), et où les personnages se succèdent dans le désordre durant les premières scènes. Arrive Simon, Guy, Mireille, Caroline, Chloé et qui encore.

Mais que cherchent-ils tous? Qu'espèrent-ils? Ils ne croient en rien. Ils sont centrés sur eux-mêmes. Certains en veulent à leurs parents boomers - on évoque même les deux référendums. Ils ont chacun leurs drames personnels. Mais, collectivement, on peut dire qu'ils sont éteints. Insensibles. Et violents. Le but était sans doute de mettre l'accent sur notre côté primaire ou même bestial. Mais pour en faire quoi ensuite? Qu'est-ce qui leur arrive? L'attente est vaine.

Le texte de Reynald Robinson (Blue Bayou..., La salle des loisirs) va dans tous les sens et nulle part à la fois. Sans jamais approfondir le thème de l'existence (la nôtre et celle de Dieu), l'auteur crée des personnages désincarnés qui nous indiffèrent. Vers la fin, dans une scène où les garçons se menacent avec un couteau, les comédiens courent à gauche, à droite, dans une frénésie qu'on ne ressent tout simplement pas.

Que dire de ces jeunes acteurs, tous frais émoulus du Conservatoire d'art dramatique de Montréal? Ils font ce qu'ils peuvent avec le peu qu'ils ont à se mettre sous la dent. Mais, dans l'ensemble, leur jeu est caricatural et manque de sincérité. Seul le personnage de Pierrot parvient à donner un peu de souffle et de matière à ce drame décousu qui tourne en rond.

On perçoit bien le côté sombre et individuel des personnages, mais on ne suit pas leurs dialogues qui s'entremêlent. On n'arrive pas à faire le saut dans leur «vide». Les comédiens se parlent parfois à une distance de trois ou quatre mètres ou bien en regardant la salle... Était-ce pour souligner cette individualité? En tout cas, le résultat n'est pas convaincant.

Qu'on ait voulu dépeindre une société de désespérés narcissiques, parmi lesquels des accros de jeux vidéo, je veux bien. Mais une fois qu'on a fait ce constat, que veut dire l'auteur? Qu'est-ce qu'il raconte? «Il faut tuer la bête», conclut-il dans la dernière scène. Lire: «Il ne faut pas être comme ça.» Deux heures sans entracte pour en arriver là?

Il était onze heures le soir, du Théâtre Passé Minuit. Jusqu'au 27 septembre à la Caserne Letourneux (lieu d'accueil temporaire pendant les rénovations de la salle Fred-Barry).