De temps à autre, la société intellectuelle parisienne aime se laisser aller aux joies du lynchage. De préférence à l'encontre d'une personnalité qui a passé les 10 dernières années à embêter tout le monde et à accumuler de scandaleux succès en librairie ou au box-office.

De temps à autre, la société intellectuelle parisienne aime se laisser aller aux joies du lynchage. De préférence à l'encontre d'une personnalité qui a passé les 10 dernières années à embêter tout le monde et à accumuler de scandaleux succès en librairie ou au box-office.

Il y a 11 ans, la presse et le milieu littéraire s'en étaient donné à coeur joie avec l'inénarrable navet cinématographique interprété par Alain Delon, signé Bernard-Henri Lévy et intitulé Le Jour et la nuit. Un improbable thriller philosophique à moyen-gros budget sur fond de paysages mexicains.

Cette fois, il s'agit d'un personnage encore plus insupportable: Michel Houellebecq en personne, auteur de deux premiers romans remarquables - Extension du domaine de la lutte et Les particules élémentaires -, puis de deux oeuvres de marketing, Plateforme et La Possibilité d'une île. Le lancement du dernier roman avait été accompagné, en septembre 2005, d'un battage publicitaire tel qu'il s'était écoulé à deux fois moins d'exemplaires que le précédent. Houellebecq, au passage, avait obtenu de son éditeur (Fayard) qu'il finance la version cinématographique du chef-d'oeuvre.

Voici donc le film: comme l'écrit Éric Neuhof dans le Figaro, c'est «l'extension du domaine du nanar». Et pour reprendre la formule du critique du Parisien, Pierre Vavasseur, «déjà le roman était un mauvais livre lancé à grand fracas, mais le film est encore plus mauvais».

L'improbable histoire oscille entre Daniel et son clone. D'un côté, un jeune homme incarné par Benoît Magimel, qui fréquente une secte vaguement raélienne et totalement ridicule, laquelle promet l'éternité par voie de clonage. De l'autre, un Daniel25 tout déplumé et nourri à la photosynthèse, clone de la 25e génération, qui vit dans des grottes désertes de lave pétrifiée, quelques années après l'apocalypse.

On se promène dans des décors d'une banalité affligeante. Des aires d'autoroute censées symboliser la vacuité de l'époque actuelle. Un gourou ridicule sermonnant des paumés dans un hangar. Une forêt de gratte-ciel en bord de mer, avec touristes débiles. Puis des décors de carton-pâte d'après-apocalypse, où Daniel25 est plongé dans la lecture d'un providentiel e-book: le journal de son ancêtre du début du 21e siècle. Dialogues ineptes ou prétentieux. Jeu de caméra qui rappelle les petits films porno destinés aux salles du cinéma de l'époque et qu'on tournait en trois semaines.

Houellebecq boude les médias

Fidèle à lui-même, Michel Houellebecq s'est de nouveau empressé de jouer les mystérieux et les misanthropes et de refuser toute interview ou apparition médiatique - à l'exception d'une interview croisée dans GQ Magazine avec Frédéric Beigbeder, jeune homme à la mode qui s'est dévoué pour la circonstance.

Mais trop, c'est trop. À l'exception de deux ou trois médias très intellos qui refusaient de renier leur vieille dévotion houellebecquienne (Télérama, Inrockuptibles), toute la presse nationale lui est tombée dessus à bras raccourcis. Le Monde évoque «le ridicule de cette science-fiction, défilé d'images sans vie, sans rythme, sans rien», et conclut à «l'impossibilité d'un film». Libération a préféré titrer «la possibilité du nul», et Les Échos, «la certitude du fiasco». Dans le tableau produit chaque semaine par le Nouvel Observateur, le film obtient des huit médias cités huit zéros - un record.

Mercredi soir, sur les 10 salles parisiennes qui projetaient le film, on avait comptabilisé 812 spectateurs après cinq séances, soit 81 spectateurs par salle. C'était en effet, comme titrait le Parisien, «la certitude d'un bide».