Antonine Maillet célèbre 50 ans de publication en nous offrant un nouveau roman empreint de philosophie mais aussi d'une grande tendresse, Le mystérieux voyage de Rien.

«J'ai rêvé de beaucoup de choses, d'être exploratrice, par exemple, ou historienne ou même avocate, avoue d'entrée de jeu la grande dame de la littérature, plutôt amusée par la révélation de ces noces d'or avec les éditeurs. Mais le rêve des rêves, c'était de passer toute ma vie à raconter des histoires. Je peux donc dire que j'ai réussi jusqu'à présent... et dans le plaisir, de surcroît!»

Un plaisir qu'elle enroule néanmoins autour d'un combat quotidien. «Être écrivain, ce n'est pas un métier comme un autre, indique-t-elle. L'écrivain, comme l'artiste, a, à mon sens, une charge, il est chargé d'une mission. Le créateur ne fait pas juste s'amuser à faire des choses nouvelles; il crée des choses qui représentent la vision de toute sa génération ou de tout son peuple, de son pays ou de son coin du monde. Et aujourd'hui, le coin du monde, c'est le monde dans son entièreté!»

L'écrivaine se garde pourtant de donner à l'artiste la mission de sauver l'humanité. «Je n'ai jamais pensé pouvoir changer la vie des sagouines de ce monde, par exemple, mais j'avais la capacité de parler d'elles. Je pouvais donner la vie à cette femme, de sorte que tout le monde puisse se rappeler qu'elle existe. Je ne crois donc pas avoir changé la mentalité des gens, mais j'essaie que mes livres aient du sens. Et si on ne va pas jusque-là, je pense qu'on a raté le coche. Si on dit qu'écrire, ce n'est que du divertissement, c'est bien dommage.»

Les tribulations de Tit-Rien

Après avoir intronisé dans la littérature une nouvelle langue avec Les cordes de bois et lié l'épopée d'une femme à celui de tout un peuple dans Pélagie-la-charrette (qui lui vaudra le Goncourt en 1979), Antonine Maillet s'est intéressée cette fois-ci à une quête tout existentielle. Son personnage, Tit-Rien, tout droit sorti des limbes, se frotte à la condition humaine et à tout ce qui en découle. Un Tit-Rien d'ailleurs très justement traduit par les coups de crayon ébouriffés de Cameron en couverture.

«Je suis quelqu'un qui aime profondément l'existence, et le plus grand crime qu'on aurait pu me faire, c'est celui de ne pas me donner la vie, affirme l'écrivaine. J'ai donc pensé à donner une voix à un être du néant qui partagerait mon enthousiasme.» Furieux contre ses parents inexistants, Tit-Rien héritera d'une auteure qui le laissera libre d'aller et venir à sa guise, de faire l'expérience du vivant tout en ayant la possibilité de dompter le temps et l'espace.

«C'est un conte dans le sens où le récit a une signification plus profonde que s'il n'était mené que par la psychologie de personnage, explique-t-elle. Mais le qualificatif «philosophique» ne doit pas être pris dans le sens de Sartre ou même de Camus. Je n'y fais pas l'analyse d'un thème philosophique. Seulement, je crois avoir réussi à y ramasser les questionnements de toute une vie. Vous savez, ça ne me fait rien de dire que j'ai toute une vie derrière moi, à condition de dire que j'en ai encore une devant!» s'exclame soudainement l'écrivaine.

«J'ai donc pioché, poursuit-elle. D'autant plus que je ne suis pas officiellement un philosophe. Les prédicables, ça m'intéresse moins que mes bottes. Par contre, le temps, le hasard, le destin, la poursuite du bonheur, ça, ça m'intéresse! Je passe mon temps à courir après les réponses, comme Tit-Rien. Et je me suis tellement prise au jeu que j'ai volontairement mis mon Tit-Rien dans des impasses. Or, les réponses se sont présentées d'elles-mêmes, les unes après les autres. C'est d'ailleurs lorsque Tit-Rien crie «Quelqu'un!» que le personnage de Quelqu'un apparaît. Ce n'est donc pas le raisonnement qui m'a guidé. Ma tête ne sait pas où je vais quand j'écris. Mais mon ventre le sait. Et il sait me surprendre!»

Visiblement, ce don que cultive Antonine Maillet sait nous rejoindre par le truchement de ses récits. «Mon amour de la vie vient peut-être du fait que je suis Acadienne donc une survivante, une mémoire, analyse-t-elle. Mais nous avons tous dans notre subconscient un trésor profond, insondable, immémorial et collectif dans lequel l'artiste doit puiser. Ce sont d'ailleurs les oeuvres d'art, Homère, Sophocle, Eschyle, Euripide qui nous rappellent la Grèce disparue. Ce sont les pyramides qui témoignent que l'Égypte a existé. L'Acadie existe parce qu'il y a des chanteurs, des poètes, des peintres. Et c'est l'ensemble de l'humanité qui ne doit jamais oublier qu'elle a passé. Si nous disparaissons, et nous disparaîtrons tous un jour, il faudra des oeuvres pour laisser des traces...»

Le mystérieux voyage de Rien

Antonine Maillet, Leméac, 310 pages, 28,95$