Elle aura 19 ans dans quelques jours, un premier album sous le bras, mais Béatrice Martin, alias Coeur de pirate, est déjà la coqueluche de l'underground, sous contrat avec la maison de disques Grosse Boîte (Tricot Machine, Le Husky), et vantée par Pierre Lapointe.

«Y'a des gens qui me disent: Wow! T'as enregistré un disque, tu joues de la musique devant du monde, c'est le fun! Mais c'est du travail. » Béatrice Martin parle rapidement et doucement, ses grands yeux noisette balayant le plancher du bistro, en cherchant ses mots.

«C'est beaucoup de travail, même. Surtout pour une fille qui n'a jamais fait ça avant. Si ça va trop vite? Je ne sais pas. Ce sont les autres qui croient en moi et qui me placent dans ces situations-là, qui m'ont offert de jouer aux FrancoFolies et à Osheaga. Si ça continue de monter, tant mieux. Si je tombe, tant pis, au moins j'aurai travaillé fort »

Elle n'est pas vraiment nerveuse, seulement à fleur de peau. Elle arrive tout juste d'un cours, l'un des deux qu'elle a besoin de compléter cet automne pour boucler son cégep. « Après, c'est l'université, dit-elle d'un ton assuré. J'y tiens, c'est important pour moi. » Elle se destine à une carrière dans le design, même si la musique prend beaucoup de place dans sa vie depuis quelques mois.

En fait, la musique n'a jamais été bien loin de Béatrice Martin. Sa maman est pianiste, l'instrument est de famille, Béatrice en joue depuis l'âge de 3 ans. Les années d'études au Conservatoire, collées au répertoire classique. «À la fin, je n'en pouvais plus.» Elle a joué dans des groupes au secondaire. Mais l'année dernière, une amie la met en relation avec Youri, leader de Bonjour Brumaire.

«J'avais déjà mis des chansons de Coeur de pirate sur MySpace, explique-t-elle. Les cinq dernières années ont été difficiles.» Ne le sont-elles pas toutes pour qui doit traverser sa crise d'adolescence? «Mes problèmes, mes angoisses, tout ce que j'ai vécu. J'ai écrit ces chansons-là pour que ça sorte. »

À fleur de peau, la musicienne à peine sortie de cette adolescence, de cette peine d'amour qui laisse une profonde cicatrice sur la douzaine de chansons de ce premier album. C'est sa nature, pourrait-on dire. Elle est comme dans ses chansons, fragile et confidentielle, presque sur le bord de craquer, le coeur de pirate tout ouvert, c'en est presque indécent. C'est ce qu'elle croit, en tout cas : «Je ne m'y fais pas encore. Toutes ces chansons que j'avais écrites pour moi, emballées dans un disque. C'est comme si elles ne m'appartenaient plus.»

À l'automne 2007, elle goûte à ses premières expériences professionnelles de musicienne en rejoignant le groupe Bonjour Brumaire, pour lequel elle joue du clavier. Pas longtemps, jusqu'aux préliminaires du concours Francouvertes auquel participe le groupe. «Ça ne marchait plus entre nous, à cause de plein de choses», dit-elle franchement sans entrer dans les détails. Elle n'est pas partie en claquant la porte, la sortie avait été annoncée.

Déjà, le projet Coeur de pirate faisait parler l'underground, surtout lorsque la nouvelle de son association avec Grosse Boîte/Dare to Care, maison de prestige des stars locales que sont Tricot Machine, Le Husky et Malajube, a été confirmée. La machine s'est emballée : l'album, éponyme, a été réalisé par David Brunet, collaborateur de Yann Perreau qui a fait des miracles avec le premier disque de Tricot Machine.

La chanson pop de Coeur de pirate ne révolutionne pas le genre, ce qui a d'abord déplu à Béatrice. «J'ai dit à Éli (Bissonnette, patron de Grosse Boîte) que je voulais de la distorsion, des filtres dans ma voix, et tout. Il m'a fait comprendre que ce n'était pas une bonne idée» admet-elle en rigolant. Bien vu. Pour un premier disque, Coeur de pirate pourrait causer une certaine surprise en invoquant le succès de Tricot Machine, justement.

À moins que le public et la critique ne soient pas cléments à son endroit. Ç'aurait déjà commencé, d'ailleurs, déplore Béatrice. «Lorsque j'ai joué aux FrancoFolies (au Club Soda, en première partie de Benjamin Biolay), certaines personnes ont dit que je n'étais pas à ma place. Que je n'étais pas prête. D'abord, ce n'est pas ma faute - je n'ai jamais demandé à être là! Je ne savais même pas qui c'était, Benjamin Biolay »

Ainsi, ce premier album de Coeur de pirate est à prendre pour ce qu'il est : le premier disque d'une jeune musicienne à peine sortie de l'adolescence. Une douzaine de chansons, à peine une demi-heure de musique seulement. Juste assez pour nous convaincre qu'il y en aura un deuxième, puis un troisième.