Régis Loisel

Régis Loisel

Auteur d'une foule de séries marquantes telles La Quête de l'oiseau du temps (avec Letendre), Peter Pan et Le magasin général (avec Jean-Louis Tripp), planté dans le Québec rural des années 20.

1) Ici-même, Tardi et Forest, Casterman

Un univers étrange où un homme dépossédé de son domaine familial évolue sur les murs d'enceinte qui lui ont été concédés... Déroutant, extraordinaire, surréaliste.

2) Les passagers du vent, François Bourgeon, Casterman

Série culte des années 80 où Isa, une jeune femme libre du 18e, à la recherche de son identité, se trouve confrontée à l'univers impitoyable des bateaux négriers. Une fresque très bien documentée où l'aventure côtoie la sensualité.

3) Monster, Naoki Urasawa, Kana

J'avais un a priori contre les mangas. Ils ne sont pas toujours satisfaisants au plan du dessin, mais celui-là a été une révélation pour moi et mon entourage. Un long récit en 18 volumes aussi palpitant que les meilleures séries télévisées américaines.

4) Maus, Art Spiegelman, Flammarion (en anglais chez Pantheon Books)

Maus raconte l'histoire du génocide des juifs vue par le père de l'auteur. Les juifs y sont représentés par des souris, les allemands par des chats... Dur, sensible, émouvant, une BD qui a eu le privilège de recevoir en 1992 le prix Pulitzer. Un incontournable!

5) Corto Maltese en Sibérie, Hugo Pratt, Casterman

Les aventures d'un héros mythique, l'un des plus romantiques de la bande dessinée. Une oeuvre en tous points passionnante!

6) Isaac le pirate, Christophe Blain, Dargaud

Isaac, peintre désargenté du 18e siècle, s'enrôle sur un bateau de pirates. Une épopée dans un monde où la brutalité côtoie la sensibilité. Blain, ainsi que Sfar, Larcenet et Trondheim sont les représentants de la nouvelle BD française qui abordent leurs récits avec beaucoup d'intelligence.

7) Comme des lapins, Ralph Köning, Glénat

Un musicien classique largué par sa copine qui a trouvé une vidéo porno dans leur poubelle, un voisin homosexuel, une diva, un déménageur musclé... Autant de prétextes à disserter sur la vie amoureuse. Tendre, cru, mais tellement réjouissant!

8) Calvin & Hobbes, Bill Watterson, Hors-Collection (en anglais chez Warner Books)

Dans le contexte d'une petite ville américaine, un petit garçon à l'imagination débordante vit des aventures humoristiques avec son tigre en peluche qui devient réel en sa seule présence. Des gags qui ont fait la joie de millions de lecteurs dans les journaux du monde entier!

9) Les pionniers de l'aventure humaine, François Boucq, Casterman

Onze histoires toutes aussi délirantes les unes que les autres. Un dessin magistral, un univers décalé, bref, une oeuvre indispensable!

10) Major fatal, Jean Giraud, alias Moebius, Humanoïdes Associés

Je ne peux pas clore cette liste sans parler de ce grand dessinateur. Il a eu depuis plus de 40 ans une influence considérable dans le monde de la BD. Il a su inventer des univers d'une telle cohérence que même le cinéma américain de SF s'en est fortement inspiré. Le maître absolu!

Laurent Boutin

Libraire à la boutique spécialisée Planète BD.

1) Ibicus, Rabaté, Éd. Vents d'Ouest

Dans le cadre de la Révolution Russe de 1917, Rabaté nous présente un héros atypique: lâche, fourbe, opportuniste et profiteur... Sans cesse malmené au gré des cases somptueuses qu'il lui a dessinées, cet anti-héros est au final si pathétique qu'on ne peut que s'y attacher.

2) Le chat du Rabbin, Joann Sfar (et Sfar/Emmanuel Guibert), Dargaud/Les Olives noires

Joann Sfar démontre qu'on peut aussi traiter de religion en BD et tenter de faire avancer les choses... sans être ennuyant. Dans ces deux séries, il questionne beaucoup la religion juive (sa propre religion) au sujet des contradictions qu'elle pose dans la vie de ses adeptes. Pas pour la démolir, seulement pour discuter dans le respect et la compréhension de la philosophie.

3) L'ascension du Haut-Mal, David B., L'Association

À l'aide de sa maîtrise du noir et blanc, David B. nous expose toute une vie d'angoisse et de souvenirs reliés à la maladie de son frère et, par la même occasion, fait la lumière sur l'inspiration qui a construit son oeuvre dense, riche et fabuleuse.

4) Fraise et Chocolat, Aurélia Aurita, Impressions Nouvelles

Très mignons dans le dessin, absolument crus dans le propos, ces deux petits livres offrent un avenir nouveau à la bande dessinée érotique, délaissant le dessin plastique cher à Manara et adoptant une histoire beaucoup plus personnelle et ne reniant pas de vrais sentiments. De l'autobiographie érotique!

5) Pyong Yang, Guy Delisle, L'Association

La Corée du Nord mène la vie tellement dure aux journalistes qu'on ne sait finalement que très peu de choses à son sujet. Malheureusement pour lui, Kim Jong-Il n'a pas pensé qu'autoriser l'entrée d'un dessinateur de BD dans son pays aurait pour résultat ce témoignage artistique. Delisle éclaire donc un petit peu, avec tout le brio et l'humour qu'on lui connaît, l'obscurité dans laquelle on se tient face à ce pays de «l'Axe du Mal».

6) Le Blog de Frantico, Frantico, Albin Michel

Un auteur très connu (et reconnu) nous refait le coup «Émile Ajar» en mettant à son profit tout ce qu'Internet met à sa disposition: aucun tabou, médisance impunie, et surtout, anonymat le plus complet. Le monde de la BD n'y a vu que du feu. Les six mois qu'ont duré la farce a donné naissance à un livre très drôle.

7) Le Photographe, Didier Lefèvre, Emmanuel Guibert et Jérôme Lermercier, Dupuis

Didier Lefèvre témoigne d'un grande aventure vécue dans un Afghanistan en guerre, accompagnant une mission de Médecins sans frontières. oeuvre hybride, ici, la bande dessinée n'a pour fonction que de remplir les trous entre les clichés du photographe.

8) Hellboy, Mike Mignola, Delcourt (en anglais chez Dark Horse)

Il y a des éléments qui, une fois introduits dans une histoire, en haussent automatiquement et considérablement son degré de divertissement: des explosions, des démons, des nazis... Mignola l'a bien compris, mais ne se contente pas d'un seul à la fois! Dans ce melting pot détonnant, fortement inspiré de Lovecraft, agrémenté d'un graphisme élégant et d'un humour corrosif, le créateur d'Hellboy se révèle un conteur hors-pair, et sa créature le summum du divertissement. Jouissif.

9) Les épatantes aventures de Jules, Émile Bravo, Dargaud

Émile Bravo explose les barrières et les conventions de la bande dessinée jeunesse. Ici, il manque quelques boulons dans le cerveau de tous les personnages, qu'il s'agisse d'un scientifique, d'un bon père de famille ou d'un extra-terrestre. Ça n'empêche pas l'auteur de faire un formidable travail de vulgarisation scientifique à l'usage des jeunes et moins jeunes. Du délire et des choses à apprendre pour toute la famille!

10) Le pont du Havre et toute l'oeuvre de Luc Giard, divers éditeurs

Depuis près de 30 ans, Luc Giard, à travers Tintin, puis à travers Ticoune (Tintin avec un bandeau, en fait), raconte des histoires à mi-chemin entre le délire total et l'autobiographie à peine camouflée. Dessinateur boulimique, son oeuvre (dont seule la pointe de l'iceberg a été éditée) et son style nerveux, encore unique à ce jour, ne cessent de forcer le respect et l'admiration de ses confrères. Dans le Pont du Havre, il se livre enfin sans le paravent du héros de son enfance, dans un livre fragile et émouvant.

Martin Brault

Cofondateur des éditions La Pastèque

1) Maus, Art Spiegelman, Flammarion (en anglais chez Pantheon Books)

Monument incontournable, seule bande dessinée à avoir obtenue le prix Pulitzer.

2) Jimmy Corrigan, Chris Ware, Delcourt (en anglais, Fantagraphic)

Un chef-d'oeuvre de finesse et de cruauté sur les relations humaines.

3) Ibicus, Pascal Rabaté, Éd. Vents d'Ouest

Une vision de l'être humain noire et pessimiste, mais ô combien réaliste et fascinante.

4) L'ascension du haut mal, David B., L'Association

Une histoire émouvante, une oeuvre cathartique magistrale.

5) Les gardiens (The Watchmen), Alan Moore et Dave Gibbons, Éd. Delcourt (en anglais chez DC Comics)

Une construction vertigineuse qui renouvelle en profondeur le genre.

6) Journal d'un album, Dupuy-Berbérian, L'Association

Pièce maîtresse de leur travail. Témoignage essentiel sur le processus de création

7) Approximativement, Lewis Trondheim, Éd. Cornelius

Pour ses capacités d'invention narrative et d'économie graphique.

8) C'était la guerre des tranchées, Jacques Tardi, Casterman

Une bande dessinée forte et juste, à mi-chemin du documentaire réaliste et de la fiction guerrière.

9) Le journal de mon père, Jiro Taniguchi, Casterman

Un récit sublime, une manga sensible et intimiste.

10) Péplum, Blutch, Éd. Cornelius

Une libre interprétation du Satyricon de Pétrone, une narration rythmée d'errances et d'incidents d'une rare violence.

Michel Rabagliati

Auteur et dessinateur de la série Paul, grand succès de la bande dessinée québécoise. Dernier tome en date, Paul à la pêche.

1) Le petit Christian, Blutch, L'Association

Livre plein d'humour intelligent et de tendresse, d'un auteur au talent exceptionnel. Le petit Christian, c'est l'auteur lui-même dans la France des années 70 et les influences qu'il subissait de la télévision et des illustrés pour la jeunesse comme Pif gadget. Adorable, j'en ai donné plusieurs exemplaires à mes amis en cadeau. Tous les livres de Blutch sont d'ailleurs recommandables et intéressants.

2) L'ascension du haut mal, David B., L'Association

L'histoire d'une famille dont un des membres est épileptique au dernier degré. Les parents tenteront tout ce qui est possible et imaginable pour tenter de le guérir, quitte à déménager tous les ans près du nouveau gourou de médecine alternative à la mode. Une histoire vraie et très poignante dans un style de dessin mystérieux et envoûtant.

3) Persepolis, Marjane Satrapi, L'Association

Curieux comme L'Association a publié de bons ouvrages! Vous avez sans doute vu le film qui était très réussi. Une série des quatre tomes qui raconte l'enfance et l'adolescence d'une jeune iranienne dans des années de bouleversements politiques et religieux. Plus copieux que le film et tout aussi intéressant.

4) 120, rue de la gare, Tardi, Casterman

Une BD polar qui, pour une fois, est à la hauteur du roman dont elle est tirée. Ici Jacques Tardi met tout son talent de conteur et de dessinateur au service d'un roman noir de Léo Mallet. Tardi me semble a son meilleur lorsqu'il travaille en adaptation.

5) Pyong Yang, Guy Delisle, L'Association

Un petit chef d'oeuvre d'un gars de chez nous. Le narrateur/auteur/dessinateur entreprend un voyage de travail dans des studios d'animation de Corée du Nord. Un portrait spontané, surréaliste et drôle du régime politique de cette région et de ses habitants.

6) Jimmy Corrigan, Chris Ware, Fantagraphic (en français chez Delcourt)

Chris Ware a été consacré comme LE génie de la BD de la décennie et peut-être même de la décennie à venir, par une multitude de spécialistes. Il est en effet dans une classe à part et il est difficile d'évaluer où il s'arrêtera. Artiste visuel complet, écrivain hors-pair, calligraphe délirant, immense travailleur, repoussant les techniques narratives du médium dans des sphères jusqu'ici inexplorées. Ses magnifiques planches d'une inventivité folle finiront certainement un jour dans les plus grands musées d'art moderne. Je lui enlève tout de même quelques points pour sa difficulté de lecture vu la petitesse de ses textes.

7) Maus, Art Spiegelman, Albin Michel (en anglais chez Pantheon Books)

Plus besoin de présenter ce chef-d'oeuvre. L'histoire poignante de l'Holocauste racontée par le père de l'auteur qui lui, la restitue sur papier en BD. Gagnant du prix Pulitzer.

8) Isaac le pirate, Christophe Blain, Poisson pilote

Une vraie aventure de pirate touffue, dans un style hautement artistique et poétique, pour les lecteurs de BD d'aujourd'hui. On y croit et on y vit de formidables moments de lecture, se rapprochant des sensations qu'un Tintin peut produire sur vous à l'âge de 8 ou 9 ans.

9) Blankets, Craig Thompson, Casterman

Un pavé de 580 pages d'un pur délice. Une profonde histoire d'amour entre deux adolescents dans une Amérique puritaine de la fin des années 70. Un dessin d'une exceptionnelle beauté et d'une générosité peu commune.

10) Là où vont nos pères, Shaun Tan, Dargaud

Un bande dessinée muette du début à la fin, mais qui nous parle si fort des sensations que peut éprouver un immigrant dans un pays étranger lorsqu'il ne connaît pas la langue. Le lecteur de ce livre devient lui-même un étranger dans un pays inconnu. Un brillante idée et un récit touchant sur le déracinement et sur bien d'autres sujets.

Delaf et Dubuc

Le tandem québécois Marc Delafontaine et Maryse Dubuc — lui au dessin, elle au scénario — est l'auteur de Les nombrils, l'une des séries les plus populaires du monde francophone à l'heure actuelle.

1) Lapinot, Lewis Trondheim, L'Association

Une série pleine de surprises où l'auteur, fin dialoguiste, balade ses personnages d'un univers à l'autre, allant du contemporain au western.

2) Calvin & Hobbes, Bill Watterson, Hors-Collection (en anglais chez Warner Books)

Ce maître du strip à l'américaine montre qu'il est possible de faire de la bande dessinée tous publics tout en maintenant de hauts standards de qualité. On rit et on s'attache sans tarder au personnage, un petit garçon dont l'imagination donne vie à un tigre en peluche. Un délice!

3) Monsieur Jean, Dupuy-Berberian, Humanoïdes Associés

Chronique de la vie d'un trentenaire parisien. Des personnages bien campés qu'on prend plaisir à voir évoluer d'album en album. Un graphisme élégant qui a marqué de nombreux dessinateurs.

4) Titeuf, Zep, Glénat

Véritablement hilarant. Une série qui ose traiter de l'enfance sans tomber dans le rose bonbon. Un plaisir de lecture que petits et grands pourront partager.

5) Maus, Art Spiegelman, Flammarion (en anglais chez Pantheon Books)

Représentation animalière des souvenirs du père de l'auteur, un survivant de l'Holocauste. Un thème connu, mais abordé sous un angle nouveau. Marquant.

6) Persepolis, Marjane Satrapi, L'Association

La vie d'une jeune Iranienne pendant la révolution islamique. À lire pour le dépaysement.

7) Le combat ordinaire, Manu Larcenet, Dargaud

Le récit léger et tendre de la vie d'un photographe et de ses proches. Une série toute en subtilités et en humour.

8) Quartier lointain, Jiro Taniguchi, Casterman

Un homme d'âge mûr se retrouve coincé dans le corps de l'enfant de 14 ans qu'il a été, tout en conservant ses souvenirs d'adulte. Une excellente initiation à la bande dessinée japonaise par le plus européen des mangakas.

9) Lupus, Frederik Peeters, Atrabile

Une série de science-fiction qui ravira autant les amateurs du genre que les lecteurs qui préfèrent les récits intimistes.

10) Isaac le pirate, Christophe Blain, Dargaud

Un dessinateur se retrouve embarqué contre son gré sur un navire pour un long voyage. Des retournements imprévisibles et un dessin somptueux.

Jean Bernard Vidal

Propriétaire de la librairie Millenium, spécialisée en bande dessinée américaine

1) The Watchmen (Les gardiens), Alan Moore et Dave Gibbons, DC Comics (en français chez Delcourt)

Histoire de super héros, réaliste, écrite par Alan Moore en 1986. Intrigue complexe écrite sur plusieurs niveaux, un classique.

2) Palestine, Joe Sacco, Fantagraphics (en français chez Vertige Graphics)

Il visite en 1992 la Palestine et s'intéresse au sort des réfugiés. Une des première BD journalistiques.

3) Sandman, Neil Gaiman, Vertigo (en français chez Delcourt)

Cette BD écrite en 1989 met en scène les Éternels et en particulier Morphée (Sandman).

4) Batman: Dark Knight Returns, Frank Miller, DC Comics

Frank Miller est à son top en 1986. Une autre histoire classique très noire de Batman qui créera un nouveau courant de comics violents et pessimistes.

5) Black Hole, Charles Burns, Pantheon Books

Une mystérieuse MTS provoque des mutations chez un groupe d'adolescents. Très noir.

6) Sin City, Frank Miller, Dark Horse (en français chez Vertige Graphics)

Série sexy, violente, tout en noir et blanc sauf exception. Digne des meilleurs polars. Frank Miller... encore.

7) Y: the Last Man, Brian K Vaughn, Vertigo

Comment vivre sur terre quand on est le seul male? Histoire non conventionnelle fertile en rebondissements.

8) Jimmy Corrigan, Chris Ware, Fantagraphic (en français chez Delcourt)

Le meilleur de la série Acme NoveltyLibrary de Chris Ware. La conception et la typographie sont exceptionnelles. À voir.

9) Preacher, Garth Ennis, Vertigo

Western moderne teinté d'humour noir. Un regard acide sur les États-Unis.

10) Walking Dead, Robert Kirkman et Tony Moore, Image Comics

La fin du monde selon Robert Kirkman et Tony Moore. Des humains évoluent dans un monde hostile rempli de zombies.

Jimmy Beaulieu

Il a fait «presque tous les métiers liés à la bande dessinée»: libraire, critique et éditeur (Mécanique générale). On lui doit également, à titre d'auteur, Le moral des troupes et Ma voisine en maillot.

1) La jonque fantôme vue de l'orchestre, Jean-Claude Forest, Casterman

Son seul titre vaut à ce livre une place dans ce palmarès. Au large d'une côte non-identifiée, des cuirassés se réduisent en bouillie. Gaston, jeune fusiller marin, survit de justesse et décide de déserter. Il rencontre un vendeur ambulant de «fenêtres hygiéniques» et prend la route avec lui. Récit d'errance bourré de nuages, de brouillard, de pluie, de neige et d'autres intempéries rendues avec maestria et mélancolie par des orgies de hachures «forestiennes», ce livre est inoubliable.

2) Journal (III), Fabrice Neaud, Ego comme X

Ce livre a plus de points communs avec un char d'assaut qu'avec un Largo Winch. Approche ambitieuse, lyrique et analytique du désir inassouvi, il semble aller jusqu'au bout de son obsession jusqu'à la catharsis, autant que ce genre de chose puisse être possible. Impressionnant spectacle de l'intelligence narrative, condensé de solutions graphiques novatrices, autant qu'essai multiple (sur l'homosexualité, sur le médium utilisé, etc.), Journal (III) ne laisse pas son lecteur indemne. Le dessin résoud le problème de la rencontre improbable entre dessin réaliste précis et dessin émotivement chargé, ce qu'on pourrait appeler un miracle. À ce titre, Neaud n'a aucun égal.

3) La comète de Carthage (série Freddie Lombard), Yves Chaland et Yann Lepennetier, Les Humanoïdes associés, 1986.

Tous les Freddy Lombard valent qu'on leur accorde au moins un bout de soirée, mais cet épisode est très spécial. Un puits de superbes trouvailles formelles qui, à la première lecture, n'attirent pas l'attention au point d'abîmer les coulissages sensuels du récit. Un exercice convaincant sur le pouvoir du non-dit (ou du non-montré, vu qu'il s'agit de bande dessinée). L'histoire, aussi belle et romantique qu'artificielle, n'est là que pour servir l'ambiance de fin du monde dans laquelle le lecteur se trouve plongé dès la première case. Tout ça en plus du dessin parfait et de l'humour caustique d'un Chaland en pleine forme. Les Humanoïdes associés viennent de publier une chouette réédition souple et abordable de la série Freddy Lombard en deux volumes, avec des couleurs plus justes que celles qu'on retrouvait dans les «luxueuses» oeuvres complètes de Chaland des années quatre-vingt-10.

4) Locas & Palomar City, Gilbert & Jaime Hernandez, Seuil

Oui, je mets la série au complet, et je mets le travail des deux frères à égalité, les dissocier, ou extraire un ou deux chapitres de ces longs fleuves narratifs parallèles serait malaisé. Love & Rockets est une sorte de soap-opera/saga familiale/Archie extrêmement brillant. Pour qu'une fiction fonctionne, un bon truc (c'est pas le seul) est de créer des personnages attachants. Mais les personnages des frères Hernandez sont si riches et incarnés qu'on en tombe littéralement amoureux (les lecteurs de Love & Rockets se disent presque toujours amoureux fous de Maggie, qui est un peu le contraire physique de Jessica Simpson). Ils sont aussi maîtres dans l'art de l'ellipse-choc qui rend leurs récits très enlevants et fougueux malgré la relative quotidienneté du propos.

5) Exit, Benoît Joly, Kami-Case

Ce livre a orienté ma carrière, et, je le crois, celle de quelques-uns de mes plus estimés collègues. Première bande dessinée d'avant-garde québécoise avec laquelle j'ai été en contact alors que j'avais 13 ans (et, encore à ce jour, la meilleure), Exit m'a fait comprendre la poésie. Rien de moins. À cet âge, on se rend compte avec regret que notre apprentissage de la vie, sans se figer complètement, ralentit beaucoup, et que le monde sera désormais saisissable, compréhensible, prosaïque, banal et ennuyeux. Après la première lecture d'Exit, j'ai refermé le livre et je me suis dit: «Je n'ai rien compris, c'est fascinant, allez, je recommence.». Ouf! Sauvé.

6) L'homme qui marche, Jiro Taniguchi, Casterman

Arrivé à une rare maîtrise de son médium, Jiro Taniguchi raconte en ces pages le trajet qui amène un salaryman japonais de sa demeure jusqu'à son travail (et vice-versa) ainsi que les petites pauses qu'il apprend à se permettre chemin faisant. Un livre avec une relation particulière au temps, qui rend caduque la nécessicité d'efficacité qui faisait loi du temps des feuilletons hebdomadaire comme Tintin ou Spirou. Au moment de sa parution, ce livre n'avait pas grand précédent dans la francophonie, aussi a-t-il suscité, lui-aussi, plusieurs vocations. Je vois L'homme qui marche comme une espèce de post-it sur le réfrégirateur qui nous empêche d'oublier de vivre.

7) Livret de phamille, Jean-Christophe Menu, L'Association

De tous les exercices diaristes français de la vague des années quatre-vingt-dix, voici celui vers lequel je retourne le plus souvent. Un recueil de notes crachées, grattées, amères sur la vie (surtout familiale) de l'auteur/éditeur. Il se détache du lot par son dédain du mignon et du mièvre sans pourtant se priver d'une saine dose d'affect.

8) L'homme sans talent, Yoshiharu Tsuge, Ego comme X

Une réputation de « Art Spiegelman japonais » a précédé Tsuge avant qu'il ne soit publié en occident. On le décrivait comme un personnage énigmatique, un hermite farouchement désintéressé par la publication de son oeuvre à l'étranger. Les revues branchouilles françaises le proclamaient déjà comme un des auteurs primordiaux du neuvième art avant même qu'une seule page n'ait été traduite et publiée en français. C'est donc dans ce climat de hype suspecte et complètement boursouflée qu'est paru en 2004 son premier livre traduit: L'homme sans talent, qu'on attendait bien sûr avec une brique pis un fanal. Mais un peu comme Maus, lorsqu'on le lit après avoir entendu des centaines de personnes délirer à son sujet, L'homme sans talent surprend par son pouvoir d'évocation dans l'humilité et l'économie de moyens. Et en plus, ce livre discret atteint une puissance équivalente à celle de Maus sans avoir recours à la moindre accroche spectaculaire. Ce qui donne raison, pour une fois, aux revues branchouilles, françaises!

9) Faire semblant, c'est mentir, Dominique Goblet, L'Association

Un autre livre autobiographique sur la famille, mais à la forme ouverte, aérienne, transparente, dont le souci pour la recherche plastique domine toute tentative d'homogénéité esthétique (celle qui fait les «bons produits culturels»). Preuve que le choix de raconter au «je» n'est pas toujours affaire de vanité, l'auteur donne l'impression d'avoir choisi de raconter son histoire directement, sans transposition, par pure hygiène de la sincérité. Par simple respect pour l'histoire qu'elle a «reçue». Et quel beau livre!

10) Jérôme d'Alphagraph, Nylso, FLBLB

Comme un compte rendu des charmantes mésaventures déambulatoires de Jérôme, jeune libraire ingénu qui rêve de devenir écrivain, ou comme une poignante et bizarre cartographie du deuil. Le dessin de Nylso est un excellent exemple de ce que je considère comme un dessin de qualité: aussi riche que fragile, aussi spontané que savant, qui ne cherche à exhiber aucune virtuosité (que ce soit dans un contrôle factice et vain ou dans une surabondance du «travail là-dedans»), mais plutôt à consigner de précieux moments de vie.

Philippe Grenier

Fondateur du site Critique-BD.com

1) La Quête de l'oiseau du temps, Régis Loisel et Serge Le Tendre, Dargaud

Aujourd'hui presque mythique, cette série a ouvert la porte à un tout nouveau genre dans le monde de la bande dessinée franco-belge. En effet, avec ce que l'on appelle aujourd'hui «la première époque», les auteurs ont su toucher l'imaginaire de centaines de milliers de lecteurs et leur faire découvrir, pour bon nombre d'entre eux, un univers fantastique si peu exploré dans le 9e Art.

2) Lanfeust de Troy, Didier Tarquin et Arleston, Soleil

Alors que La Quête de l'oiseau du temps ouvrait les portes sur le heroic-fantasy, cette série les a carrément fracassées! Avec cette série, une nouvelle étoile scénaristique est née en Christophe Pelinq, alias Arleston!

3) Maus, Art Spiegelman Flammarion (en anglais chez Pantheon Books)

Combien de fois avons nous eu droit à des témoignages découlant des événements marquants de la seconde guerre mondiale? Parmi tous ceux là, certains demeureront immortels. Au cinéma, La liste de Schindler restera à jamais une réalisation de référence, à tel point que La Vità è bella et Le Pianiste lui furent irrémédiablement comparés. En guise de parallèle dans le monde de la BD, l'oeuvre qui a marqué et qui marquera toujours ses lecteurs est Maus, un témoignage réaliste et expressif de cette triste période de l'Humanité.

4) Blacksad, Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales, Dargaud

Issus du monde de Disney, les auteurs de cette récente série de polars ont pris de court les amateurs du 9e Art avec des réalisations d'une grande beauté, et d'une impressionnante expressivité. Dessinée puis mise en couleurs de façon directe, cette bande dessinée met en vedette des personnages animaliers, et s'est rapidement classée parmi les oeuvres incontournables des dernières années.

5) Les mondes d'Aldébaran, Léo, Dargaud

Les années 60-70 avaient fourni un riche répertoire d'oeuvres de science-fiction pour les amateurs de bandes dessinées. Or, aujourd'hui, beaucoup d'entre elles ont mal vieilli car trop logées dans la conception de l'époque de ce qu'était la S-F. Au début des années 1990, un auteur argentin est venu redéfinir ce type de réalisation en offrant une série (rendue à son 3e cycle, donc 11e tome) riche en mystère, en imagination et en suspense. En bref, c'est un must!

6) Largo Winch, Philippe Franck et Jean Van Hamme, Dupuis

On connaissait déjà Jean Van Hamme pour son apport inestimable au divertissement grâce à sa série fantastique Thorgal, mais qui aurait pu s'attendre à ce que le scénariste de BD puisse avoir autant de succès à l'extérieur de ce monde si différent du monde réel? Alors qu'en parallèle la série XIII offre un genre thriller riche en rebondissements, la série Largo Winch marque le pas à la nouvelle génération de séries de bandes dessinées plus réalistes et suivant un modèle appuyé sur les actualités. Déjà à son troisième diptyque, cette série était considérée comme un must auprès d'un lectorat sans cesse grandissant, et qui attend impatiemment la suite et fin du 8e diptyque pour cet automne.

7) Zoo, Frank Pé et Philippe Bonifay, Dupuis

Après 13 ans de réalisation, ce roman graphique de trois tomes prenant place dans un zoo à l'aube d'une grande guerre a finalement connu sa conclusion. Il n'existe pas à ce jour une histoire représentée en bandes dessinées qui transpire encore plus d'émotions, de tourments, de force de caractère et de beauté que celle-ci.

8) Paul, Michel Rabagliati, La Pastèque

Pour le Québec, et l'internationalisation de son art, voilà une série qui a incontestablement marqué un grand pas pour la province et ses auteurs dans l'ensemble. Plusieurs fois primée par les critiques, elle est rapidement devenue l'une des séries favorites de lecteurs et lectrices de chez nous, en plus de se frayer une place auprès des lecteurs étrangers, autant francophones qu'allophones.

9) Spawn, Todd McFarlane, Image Comics

La création de ce personnage à mi-chemin entre le protagoniste et l'antagoniste a entraîné un phénomène de grande importance en ce qui a trait à la propriété des droits auprès des auteurs américains, et par la même occasion canadiens, qui oeuvraient pour le compte des Big Two. En effet, en plus d'offrir depuis près de 15 ans une bande dessinée de qualité offerte à un prix concurrent, Todd McFarlane et ses associés ont ouvert la porte à une nouvelle vision de la création de bandes dessinées américaines où les auteurs pourraient enfin bénéficier des droits issus de leurs conceptions. Lorsque Spawn fut pour la première fois publié par Image Comics, le visage de l'industrie du Comic US s'est trouvé à jamais changé.

10) Shenzhen, Guy Delisle, L'Association

Alors que la bande dessinée offrait, depuis de nombreuses années, des récits axés sur la fiction, l'artiste d'origine québécoise Guy Delisle a contribué au nouvel élan de créativité qui a fourni un bon nombre d'oeuvres intimistes dans lesquelles on retrouve des carnets de voyages, des journaux de bord et autres réalisations du genre. Offrant un regard amusant du monde inconnu (qu'est celui de la Chine) dans lequel il est plongé, Guy Delisle nous fait voir, de façon touchante et avec humour, outre nos frontières et nous plonge dans son quotidien d'artiste expatrié.

Trois suggestions supplémentaires

Alexandre Vigneault

1) The Watchmen (Les gardiens), Alan Moore et Dave Gibbons, Delcourt

«Une construction vertigineuse qui renouvelle en profondeur le genre», affirme Martin Brault, au sujet de cette histoire de super héros au ton réaliste. Jean-Bernard Vidal vante pour sa part l'intrigue complexe offrant plusieurs niveaux de lecture.

2) Calvin & Hobbes, Bill Watterson, Hors Collection

Tout le monde ou presque connaît ce garçon à l'imagination débordante et son tigre en peluche. «Ce maître du strip à l'américaine démontre qu'il est possible de faire de la bande dessinée tous publics tout en maintenant un haut niveau de qualité», estiment Delaf et Dubuc.

3) La jonque fantôme vue de l'orchestre, Jean-Claude Forest, Casterman

«Au large d'une côte non-identifiée, des cuirassés se réduisent en bouillie. Gaston, jeune fusiller marin, survit de justesse et décide de déserter», résume Jimmy Beaulieu. Un «récit d'errance» bourré d'intempéries rendues avec maestria et mélancolie.