Des artistes de la scène du Québec qui tournent à l'étranger, il y en a des masses. Spontanément, nous viennent à l'esprit les noms de Robert Lepage, Wajdi Mouawad et Marie Brassard. Mais nos globe-trotters de la scène s'appellent aussi Les Deux Mondes, Dulcinea Langfelder, Les Confettis, la Pire Espèce ou le Théâtre bouches décousues Faire tourner des ballons sur son nez, évidemment que ça vaut la peine!

Ces jours-ci, Daniel Meilleur a le goût d'imiter Yann Martel (qui, aux deux semaines, envoie des bouquins au premier ministre) en invitant Stephen Harper au théâtre. «Il y a des pays qui paieraient pour se faire un Robert Lepage, qui serait perçu comme une fierté nationale», s'indigne le président fondateur du Théâtre des Deux Mondes.

En 35 ans, Les Deux Mondes en ont fait du chemin, parcourant les Amériques, l'Afrique, l'Europe et l'Asie. Aux Deux Mondes, le voyage est devenu partie prenante de la création. Normal, donc, que Daniel Meilleur, Michel Robidoux, Yves Dubé et Normand Canac-Marquis se soient inspirés de l'expérience internationale de la compagnie pour Carnets de voyages qui, la semaine dernière, prenait la scène de la Cinquième Salle de la PDA.

«Pour un artiste, c'est un des plus grands privilèges que de pouvoir voyager avec son art. Par exemple, on revient toujours transformé d'un voyage en Afrique. On se demande si ce qu'on fait va intéresser l'autre. Chacun de nos spectacles a eu son propre destin. L'histoire de l'oie a tourné pendant 16 ans. Tandis que d'autres ont eu une vie d'une année ou deux», raconte Daniel Meilleur.

Aux Deux Mondes, cette vie sur la route n'a pas été préméditée. «Une tournée à la fois», c'est un peu la devise de cette compagnie dont les budgets seront forcément pénalisés par l'abolition du programme fédéral PromArt. «Il est très rare que les gens nous invitent sans avoir vu un spectacle.»

Quand on se compare, on se désole

Daniel Meilleur regrette que le Canada n'imite pas la France, l'Allemagne ou la Suède, pour propulser le rayonnement de ses artistes à l'étranger. «C'est difficile pour nous d'aller en Chine, parce que les cachets sont minimes. Les Français, les Anglais, les Allemands, eux, envoient leurs artistes et paient tout. Parce qu'ils savent que, stratégiquement, c'est rentable!»

Marc Pache, directeur général de la compagnie jeune public Théâtre bouches décousues, donne l'exemple du spectacle Léon le nul - qui a sillonné l'Europe depuis sa création en 2005 - pour démontrer que tourner rapporte.

«Avec un budget de 71 000$ (dont 12 000$ provenaient du programme PromArt), nous avons généré des revenus autonomes de 60 000$. Sur ce montant, 35 000$ ont été versés en salaires et cachets à des individus québécois. On est inquiets, on veut savoir pourquoi ces programmes sont remis en question, puisqu'il est clair que les tournées sont génératrices de revenus.»

Autre compagnie pour la jeunesse qui tourne beaucoup en France, Le Carrousel a consacré maints efforts à développer son réseau international depuis 15 ans. Le spectacle Une lune entre deux maisons, découvert dans un festival à Lyon, a été vu environ 200 fois en Europe. La compagnie a joué ses pièces L'Ogrelet et Salvador dans plusieurs langues, en Italie, au Mexique, en Espagne ou en Argentine. Le Carrousel s'apprête d'ailleurs créer en mandarin sa pièce Petit Pierre.

«Je ne crois pas que ces coupes puissent mettre notre compagnie à terre du jour au lendemain. J'ai confiance que le gouvernement fédéral va se réveiller. Mais pour la première fois en 35 ans de métier, je me sens extrêmement inquiète», lance Odette Lavoie, directrice générale de cette compagnie établie à Québec.

L'enrichissement humain, qui ne se mesure pas en argent sonnant, doit aussi être inclus dans les bénéfices de tourner à l'étranger. «C'est d'abord des rencontres artistiques. Ce n'est pas la même chose que de vendre des chaussures», rappelle Marc Pache du Théâtre bouches décousues.

L'artiste multidisciplinaire Dulcinea Langfelder, par exemple, a dit que le fait de sillonner le monde avec son spectacle Victoria l'a rendue «moins individualiste» et plus encline à s'interroger sur problématiques «plus vastes, moins nombrilistes.»

Le comédien Jean-François Casabonne, qui tient l'un des rôles principaux dans Carnets de voyages, voit la tournée comme la création «d'influx nerveux entre les autres et nous.»

«Parfois, tu pars en semeur et tu récoltes là-bas des choses que tu as semées chez toi. C'est une espèce de migration de la création.»

Carnets de voyages, de la compagnie Les Deux Mondes, est à l'affiche de la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu'au 13 septembre.