La rentrée télévisuelle vous amènera à faire des choix. Qui, parmi les nouveaux personnages de téléséries, téléromans, comédies de situation, adopterez-vous? Cette question, les scénaristes savent que vous vous la poserez. Et y répondrez très vite. D'où le défi, immense, que constitue pour eux l'écriture du premier épisode d'une nouvelle série. La Presse en a parlé avec certains d'entre eux.

Au cours des prochains jours, vous vivrez à l'heure des choix. Installés devant votre téléviseur, vous déciderez si vous prendrez un rendez-vous hebdomadaire avec ces nouvelles venues dans la grande ville que sont Roxy l'Abitibienne et une certaine «grande fille» de Trois-Rivières. Ou vous vous infiltrerez une fois par semaine dans la famille de Normand, animateur vedette qui tourne le dos à sa «grosse vie» pour s'en refaire une «vraie»; et dans celle des Parent, c'est-à-dire un gars, une fille et leur trois ados.

Avec deux d'entre eux? Trois? Tous? C'est peut-être beaucoup parce qu'au moment où ils se retrouveront dans votre petit écran, Sophie Paquin avec ses hauts et ses bas, les trois soeurs Elliot et autres «étoiles filantes» qui ne font pas que passer, seront, aussi, de retour dans la galaxie télé.

L'heure des choix, donc. La vôtre. À vous qui vous trouvez à une extrémité de la chaîne de la consommation télévisuelle dont le premier maillon est le scénariste. Qui, lui, est responsable du grand bing bang original. Et qui attend le verdict. Votre verdict. Lequel tombera très vite après la diffusion d'un épisode dont il a posé les premiers mots sur son écran il y a des mois. Épisode 1. Scène 1.

Cent fois sur le métier...

Tous, qu'ils écrivent des téléséries, des téléromans, des comédies de situation ou des sketches, sont d'accord: cet épisode-là est celui qui demande le plus de travail. Il doit présenter les personnages, installer l'intrigue, donner une idée du ton, camper l'univers, afficher une structure. Cela, sans tomber dans l'explicatif. «C'est un épisode qui doit intéresser tout le monde en présentant tous les personnages sans avoir l'air de les présenter », résume Anne Boyer, qui travaille en tandem avec Michel d'Astous (Sous un ciel variable, Nos étés et, l'hiver prochain, Le gentleman).

Pour toutes ces raisons, «il est beaucoup plus long à écrire que les autres et il est plus souvent réécrit que ceux qui suivront », fait Jacques Davidts, auteur de la série à sketches Les Parent. Réécrit sur papier ou oralement. Ainsi, Martin Forget, scénariste de Grosse vie, note qu'il a si souvent eu à pitcher sa comédie de situation - donc à raconter, expliquer et justifier le premier épisode - que ce dernier s'est écrit assez facilement: «Il était prêt, et moi aussi, quand est enfin venu le moment de le mettre sur papier.»

Semblable son de cloche - façon «cent fois sur le métier » - chez Jean-François Léger, auteur de Roxy, qui a «travaillé un an sur les quatre premiers épisodes»; et chez Louis-Philippe Rivard, cocréateur, avec Paco Lebel, de la sitcom Grande fille, pour qui le grand défi, dans le genre qu'il pratique, est de trouver «La ligne, la répartie, qui permet à elle seule de camper un personnage auprès d'un public qui ne connaît pas encore».

En fait, peu importe le type d'émission, «ce premier épisode est absolument déterminant. Surtout de nos jours, avance Pierre-Yves Bernard, coauteur de Minuit, le soir qui développe actuellement une nouvelle série. D'une part, le diffuseur crée un véritable momentum en multipliant, pendant des semaines, les autopromotions. D'autre part, en cette ère où notre temps est morcelé en séquences flash, les téléspectateurs décident très rapidement s'ils restent là ou passent à autre chose».

Un épisode crucial

Anne Boyer se souvient ici de cette époque «où les gens savaient qu'un téléroman était un long train qui commençait lentement. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, où nous sommes à l'ère de la gratification instantanée». Et où, ajoute-t-elle, l'offre est beaucoup plus grande, diversifiée. Et vient aussi d'outre-frontières: «Nous sommes en compétition avec Perdus et Beautés désespérées alors qu'il fut un temps où les séries que les gens consommaient étaient à peu près exclusivement québécoises.»

D'où le caractère crucial du premier épisode et même, souligne Pierre-Yves Bernard, du premier bloc. Les premières sept ou huit minutes précédant la première pause publicitaire : «Assis sur leur divan, les gens vont se parler pendant la publicité, se demander les uns aux autres ce qu'ils pensent de ce qu'ils viennent de voir. Et même s'ils peuvent laisser la chance au coureur pour un ou deux épisodes, leur idée est faite. »

Pour qu'elle soit favorable à ce qui vient de leur être présenté, cette idée, les scénaristes peaufinent ad-nauseam ce bloc de départ. «Dès les premières images, le spectateur doit être mis en contact avec les personnages, comprendre qui est qui, avoir une idée de leur background et de la manière dont chacun réagit dans tel genre de situations», fait Estelle Bouchard, dont on suivra le retour des Soeurs Elliot à partir du 24 septembre.

«Et ce n'est même pas le plus dur, poursuit-elle. Le plus dur, c'est qu'à la fin de ce premier bloc, l'enjeu de la série soit placé de façon extrêmement claire. Pour cela, il faut que l'histoire soit limpide dans la tête de l'auteur.» Limpide et, dans une continuité comme Les soeurs Elliot, Minuit, le soir ou Nos étés, complète - par comparaison aux sitcoms, à certains égards plus souples.

Ainsi, les continuités sont en général écrites dans l'ordre. «Mais elles demandent énormément de réécriture parce que chaque pas que l'on fait dans l'univers que l'on a créé nous fait avancer mais aussi revoir des choix faits précédemment, note Pierre-Yves Bernard. Nous faisons donc de constants allers-retours entre les épisodes, et cela touche surtout les premiers puisque nous-mêmes ne connaissons pas autant les personnages et la série au début que lorsque nous sommes dans le septième ou huitième épisode».

Autant d'efforts parce que, ils le savent, leur diffuseur le sait et vous le savez aussi, la première impression est déterminante. Les scénaristes - comme tous les artisans des séries qui vous suivrez ou pas - ne le cachent pas : ils espèrent, le lendemain de la diffusion de «leur» épisode, être le sujet de conversation autour de la machine à café. Ou de la photocopieuse. Ou dans la cafétéria. À vous, encore une fois, de choisir.

Les ParentQuoi? Sketches qui racontent la famille Parent composé d'un couple (Anne Dorval et Daniel Brière) et de ses trois enfants.

Où et quand? Radio-Canada, le lundi à 19 h 30, à partir du 8 septembre.

«Un premier épisode, c'est celui où le spectateur fait connaissance avec les personnages. Mais c'est la même chose pour moi: le premier épisode que j'écris, et ce n'est pas toujours le premier qui sera diffusé, est celui où je les «entends» parler, où ils deviennent «vivants», raconte Jacques Davidts. C'est en écrivant cet épisode-là que je vais voir si ces gens que j'ai dans ma tête peuvent vivre. C'est un peu comme Frankenstein. Je lève la manette et je vois si ça marche ou pas.»

Roxy

Quoi? Comédie de situation qui suit la transplantation, de l'Abitibi à Montréal, d'une certaine Roxy (Cathy Gauthier).

Où et quand? Radio-Canada, le mardi à 21 h, à partir du 9 septembre.

«Le plus délicat a été de trouver Roxy, qui n'est ni Cathy Gauthier ni la fille qu'elle incarne dans le spectacle 100 % vache folle. Puis, de l'entourer de personnages qui ne sont pas des «clowns blancs», fait Jean-François Léger qui réécrit énormément ses textes - faisant face à un autre danger: la tentation de changer les gags qu'il ne trouve plus drôles. Parce qu'ils ne le sont pas ou parce que cela fait 50 fois qu'il les lit? Là, l'expérience tranche. Et le public, Roxy étant enregistré devant une foule.

Grande fille

Quoi? Comédie de situation qui se penche sur l'installation à Montréal d'une grande fille (Madeleine Péloquin) native de Trois-Rivières.

Où et quand? TQS, le jeudi à 19 h, depuis le 4 septembre.

«Ce qui est vraiment bien dans une sitcom, ce n'est pas quand un gag est bien formulé, mais quand une phrase fait rire parce qu'elle sort de la bouche de tel personnage et non de tel autre, affirme Louis-Philippe Rivard. Ce qui est moins agréable dans l'écriture du premier épisode, c'est que les gens ne connaissent pas les personnages. Nous ne pouvons donc pas jouer à ce niveau. On peut se le permettre après six ou sept épisodes. Là, le fun commence pour le scénariste.»

Grosse vie

Quoi? Comédie de situation qui scrute Normand (Normand Brathwaite) dans son passage de la grosse vie à la vraie vie.

Où et quand? Radio-Canada, le jeudi à 21 h, à partir du 11 septembre.

«Le Normand de Grosse vie n'est pas Normand Brathwaite. Mais c'est une bonne transition pour lui, qui n'avait pas joué depuis longtemps», affirme Martin Forget qui décrirait plus sa série comme un Seinfeld que comme un Tout sur moi. Et d'admettre qu'avec telle «locomotive», il a pu se permettre - chose rare en sitcom - de garder un gros atout dans sa manche jusqu'au deuxième épisode. C'est là qu'apparaît Rita Lafontaine, que le vrai Normand Brathwaite appelle maman dans sa fausse vie.