Aveugle depuis l'âge de 15 ans, pote de Manu Dibango et grand rénovateur de la tradition bendskin, le guitariste camerounais André-Marie Tala vient survoler ses 40 ans de carrière ce soir aux Nuits d'Afrique. Rencontre avec un vétéran de l'afro-funk et de la variété africaine.

André-Marie Tala nous reçoit au resto de son hôtel montréalais, avec sa femme et ses éternelles lunettes noires. Physiquement peu expressif, comme beaucoup de non-voyants, l'auteur-compositeur camerounais n'est pas moins volubile quand vient le temps de raconter son parcours et sa démarche artistique. Le tour de la question, en 10 mots-clés...

Bendskin

Cette musique du terroir prend sa source dans les montagnes de l'Ouest camerounais. À l'origine, elle se jouait avec des tam-tam et des maracas. Au début des années 70, André-Marie Tala a décidé de moderniser ce style avec des guitares et du wah-wah. «Je l'ai sortie de son cadre restreint pour la faire connaître hors frontières, explique-t-il. C'était le seul moyen de faire entendre cette musique au grand public et aux jeunes Camerounais qui se détournaient de leurs racines.»

Grassfield

C'est le nom que les Allemands ont donné à la région natale d'André-Marie Tala (l'ouest du Cameroun) à cause de ses vallées verdoyantes. On dit que le bendskin appartient à la culture grassfield.

Cécité

M. Tala a perdu la vue à l'âge de 15 ans. Et n'a jamais vraiment su ce qui l'avait rendu aveugle. Cela ne l'a pas empêché d'apprendre la guitare, dont il joue par ailleurs avec les dents et derrière le dos. Fait à noter : le musicien n'a jamais voulu adopter la canne blanche. "Je suppose que je conçois la vie comme un voyant. Qui doit se battre comme tout le monde pour poser sa pierre dans l'édifice."

Guitare

Sa première six cordes était un poème. "Je l'ai fabriquée moi-même. Elle était en bambou, avec cinq fils de pêche en guise de cordes! Elle n'a jamais servi et je l'ai jetée. Je le regrette aujourd'hui. Le drame de l'Afrique, c'est qu'on va vers l'Occident sans conserver notre culture. Si on voit une guitare neuve dernier cri, on l'adopte en oubliant le charme de notre guitare faite à la main..."

Influences

André-Marie Tala a appris à la dure, dans les clubs enfumés de Yaoundé. "C'était une formation-choc. On pouvait jouer pendant cinq heures non-stop." Pour garnir son répertoire, il pige dans toutes les musiques à la mode des années 60, des Beatles à Johnny Hallyday, en passant par les vedettes congolaises Franco et Nico. Il s'inspire aussi des guitaristes George Benson et BB King. Ce mélange sera à l'origine de sa diversité musicale. "Je suis un chanteur de variétés", dit-il. Dans tous les sens du terme.

Manu Dibango

"En 1972, c'est lui qui m'a encouragé à aller faire des disques en France. Il m'a accueilli et présenté aux gens de la maison de disques Decca, avec qui il venait d'enregistrer le tube Soul Makossa." Pour Fiesta, sous-label africain de Decca, André-Marie Tala gravera une poignée de succès, dont Sikati, Potaksina et Na Mala Ebolo (120 000 disques écoulés). Il entretient toujours des liens avec Manu Dibango.

Tchamassi

Ce style musical, créé par M. Tala, incorporait des éléments d'afrobeat nigérian, de makossa camerounaise et de biguine antillaise. "Quand j'ai vu que ça n'avait pas le succès espéré, j'ai commencé mes recherches pour moderniser le bendskin."

Source des Montagnes

Titre du vingtième et dernier album d'André-Marie Tala, produit à compte d'auteur. Retour aux sources? "C'est surtout une autre manière de consacrer le bendskin. Avant, je ne mettais qu'une ou deux chansons par disque. Là, c'est les deux tiers des titres."

Cameroun

André-Marie Tala n'y vit plus depuis 1978. Le chanteur Claude François voulait signer le Camerounais sur son label Flash Musique et lui avait suggéré de venir vivre à Paris. Manque de pot : c'était juste avant son décès. Tala n'a jamais signé chez Flash, mais il est quand même resté en France. "Je vais au Cameroun deux ou trois fois par an. Une partie de ma famille est là-bas. Et qui sait si je n'y retournerai pas un jour. C'est un pays ouvert, où il y a tout ce qu'il faut pour évoluer. On attend juste de meilleures infrastructures routières et l'accès à l'internet pour tout le monde."

James Brown

En 1973, André-Marie Tala connaît un certain succès avec la chanson Hot Koki. Deux ans plus tard, James Brown reprend le morceau à son compte en le rebaptisant The Hustle. Tala engage une poursuite pour plagiat contre le parrain de la soul et obtient gain de cause trois ans plus tard. "Il avait fait sa version dans la même gamme, avec la même intro, le même corps et le même refrain, raconte le musicien. La seule chose qui avait changé, c'était les paroles en anglais. Est-ce qu'on m'a dédommagé? C'était insignifiant. Je crois que l'éditeur et les avocats ont pris beaucoup d'argent. Disons que ce fut une victoire morale."

ANDRÉ-MARIE TALA, en spectacle ce soir, 21h, au Kola Note.