Elle s'est appelée Lise, Madeleine, Albertine, Manon Et depuis qu'elle a partagé la scène avec André Brassard, dans Encore une fois si vous le permettez, elle est devenue Nana, le double de Rhéauna Rathier, génitrice adorée de Michel Tremblay. Infatigable, rayonnante, la muse Rita Lafontaine s'apprête à monter au paradis et livrer seule sur scène le nouvel opus de Tremblay.

«Jamais je n'aurai l'occasion de travailler avec une comédienne qui connaît autant le répertoire d'un auteur», confie le metteur en scène Frédéric Blanchette, qui soutient «que personne ne peut dire à Rita Lafontaine comment jouer du Tremblay».

Rita Lafontaine s'amène dans la salle de répétition du Rideau Vert en compagnie de Jacques, son inséparable amoureux. Sa voix et son regard sont empreints de sérénité. Mais le ton relax est bien trompeur: à 68 ans, Madame Rita est loin de la retraite, hyper occupée entre un tournage pour le cinéma (Noémie), pour la télé (La grosse vie) et une mise en scène (La duchesse de Langeais).

Bref, pas trop le temps de se réfugier dans les souvenirs et les albums de photos en noir et blanc, même si les 40 ans des Belles-soeurs invitent à un retour sur l'effervescence qui était palpable, pendant ce mois d'août de 1968.

«C'était une période très enthousiasmante. Nous, les plus jeunes de la production, on était tellement convaincues que c'était une grande oeuvre, qu'on ne se posait pas de questions sur l'impact que cela aurait sur la société. On avait l'impression de participer à quelque chose d'important. Maintenant que Tremblay est traduit en 30 langues et joué partout dans le monde, je me dis qu'on avait raison de les admirer, lui et Brassard», dit celle qui faisait Lise Paquette, dans la mouture originale des Belles-soeurs.

Nana et elle

Pendant notre entretien, Rita Lafontaine se montre élogieuse à l'endroit de Frédéric Blanchette, qui prend la relève de son ami André Brassard. «Il me fait beaucoup penser à Brassard, même qu'il a un peu la même tête que lui à une certaine époque. Il accepte mes suggestions. Je ne veux pas le brimer, donc on discute. Ça se fait de manière très harmonieuse.»

Rita Lafontaine ajoute aussi que si elle a ressenti une vive émotion, à la lecture du Paradis à la fin de vos jours, elle a eu au départ certaines difficultés à accepter la vision des choses que Tremblay propose à travers Nana. «Mes croyances sont éloignées de ce qu'écrit Tremblay. Je crois en la réincarnation, j'espère qu'on a plusieurs vies pour se reprendre, pour peaufiner notre âme. Nana, elle, pense que nos morts peuvent nous conseiller, ce qui va à l'encontre de ma pensée. Elle vit beaucoup dans ses souvenirs, elle a une grande souffrance. Moi je pense que c'est d'une grande tristesse, de penser qu'on finira dans un lieu où l'on ne peut pas avoir de communication avec les gens qu'on a aimés.»

Reste que malgré leurs divergences d'opinion, Nana et Rita font corps. Et si elle se retrouve seule sur la scène du Rideau Vert, la comédienne se sent bien entourée au «paradis». «Je dis souvent que je ne suis pas seule. Il y a toute l'équipe technique et chaque individu du public, qui est là pour une raison précise et ne demande qu'à passer un bon moment.»

Son approche est restée aussi instinctive, celle qui est tombée dans l'oeil d'André Brassard il y a 44 ans. «C'était en 1964. Je travaillais comme secrétaire à l'Université de Montréal et je suivais des cours de théâtre avec Paul Hébert. Paul Buissonneau avait monté une pièce dont je faisais partie, dans une petite maison de la rue Notre-Dame. Dieu sait comment, Brassard en avait entendu parler et était venu voir la pièce. Quand il a appris que j'étudiais chez Paul Hébert, il a contacté un étudiant qui m'a fait le message qu'il voulait me rencontrer. Quelques jours plus tard, on se rencontrait au coin de Sherbrooke et Saint-Denis, pour un blind date. Après, on ne s'est jamais quittés.»