Il la quitte, elle en fait une exposition. Abandonnée par «X», l'artiste française Sophie Calle épuise son sentiment amoureux grâce à l'interprétation par 107 femmes (dont un perroquet) d'une missive de rupture. Après Venise et Paris, DHC/ART Fondation pour l'art contemporain présente à Montréal Prenez soin de vous

Il la quitte, elle en fait une exposition. Abandonnée par «X», l'artiste française Sophie Calle épuise son sentiment amoureux grâce à l'interprétation par 107 femmes (dont un perroquet) d'une missive de rupture. Après Venise et Paris, DHC/ART Fondation pour l'art contemporain présente à Montréal Prenez soin de vous

En route pour Berlin, Sophie Calle reçoit, par courriel, sur son téléphone, un message de rupture se terminant sur un impératif: «Prenez soin de vous». Le point final de l'histoire devient le point de départ d'une analyse, d'une interprétation. «Une façon de prendre le temps de rompre», dit, en préambule, l'artiste.

À 107 femmes, Sophie Calle demande de déconstruire la lettre de rupture. Certaines femmes interprètent le courriel au prisme de leur profession - avocate, juge, écrivain public ou encore historienne. Des artistes l'interprètent littéralement: en chantant (Camille, Feist), en dansant (Marie-Agnès Gillot) ou en jouant (Jeanne Moreau, Arielle Dombasle, Emmanuelle Laborit).

«Ce qui m'intéressait, c'était l'accumulation. De prendre cette lettre, de la triturer dans tous les sens. J'ai essayé d'aller dans tous les métiers qui analysent les textes. J'aurais pu continuer longtemps», admet Sophie Calle, lors de la présentation de l'exposition aux journalistes.

Une diplomate note que l'ex-amant semble «incapable de renégocier de nouveaux termes de référence () pour le contrat amoureux». La journaliste et amie Florence Aubenas répond, elle, que la lettre de X a fini «à la poubelle». Une avocate décèle en l'auteur un «égocentrique narcissique» et conclut à "l'escroquerie". Lapidaire, une ado constate: «Il se la pète.»

Comme souvent chez Sophie Calle, sa vie fonde son oeuvre. Une précédente rupture amoureuse lui avait inspiré Douleur exquise. Mais l'artiste française s'est aussi fait connaître sur la planète art contemporain en explorant l'intimité de l'autre et de l'inconnu qu'elle file dans la rue (Suite vénitienne), invite à dormir dans son lit (Les dormeurs) ou écoute toute une nuit (pour la première Nuit blanche parisienne, en 2002).

Pas thérapeutique

Il y a dans Prenez soin de vous quelque chose de hautement jubilatoire à voir le message - et donc, le messager - passé au menu hachoir par ce vaste échantillon de la gent féminine. Sur son sentiment, l'artiste ne s'épanche guère. «L'idée de départ, c'est un mail de rupture. Le but n'est pas thérapeutique: le but est de faire une exposition», souligne-t-elle.

Prenez soin de vous se divise en deux catégories. D'abord, les professionnelles, photographiées avec la lettre. La photo est présentée à côté d'un découpage de la réponse. Ensuite, les artistes, dont les portraits correspondent à des vidéos de leurs performances.

Depuis ses débuts, Sophie Calle n'a jamais caché ses appréhensions - ou ses faiblesses - avec un appareil photographique. C'est pourtant elle qui signe pour Prenez soin de vous l'ensemble des portraits. «C'est la seule chose que j'ai faite. Sinon, j'aurais été absente du projet, note-t-elle. Je pense que les photographies sont meilleures que ce que je fais habituellement à cause de cela.»

Daniel Buren, commissaire de l'exposition pour la Biennale de Venise, où Prenez soin de vous a été produite pour la première fois l'an dernier, suggère à Sophie Calle d'accompagner portraits et textes, des originaux des lettres, sur des présentoirs «pour montrer que les femmes ne sont pas censurées».

«(Daniel Buren) adore mes livres, mais il trouve que mes expositions étaient moins bien que mes livres. Cela m'a intéressée comme commentaire, et cela m'a influencée», dit Sophie Calle, dont l'oeuvre se décline aussi en librairie - «J'essaie toujours de faire des livres. C'est un travail très différent.»

La démarche artistique et l'exposition ont-elles exorcisé la rupture? Sans confidences, Sophie Calle affirme: «J'ai épuisé le sentiment en faisant ceci, mais pas le texte.» Avec l'humour qu'on lui prête volontiers, l'artiste dit d'ailleurs que s'il devait y avoir une chute à l'exposition, ce serait avec l'intervention d'un perroquet, qui déchiquette et avale la lettre.

Prenez soin de vous est présentée jusqu'au 19 octobre 2008 à DHC/Art Fondation pour l'art contemporain, 451, rue Saint-Jean. Infos: www.dhc-art.org.