La poste américaine, qui avait refusé l'an dernier des cartes postales représentant la chanteuse Joséphine Baker les seins nus, émet mercredi un timbre à son effigie - avec la poitrine couverte.

Le timbre reproduit une affiche en danois du film Princesse Tam-Tam (1935) avec un dessin de Baker assise. Il fait partie d'une série consacrée aux stars noires du cinéma et sera lancé au cours d'une cérémonie mercredi au musée de Newark consacré aux arts décoratifs.

L'an dernier, la poste avait refusé pendant plusieurs mois 15 000 cartes postales publicitaires que voulait envoyer Jean Claude Baker, 13e enfant adoptif de la chanteuse et propriétaire d'un restaurant baptisé Chez Joséphine à New York.

Les cartes, illustrées par une aquarelle de 1926 montrant la danseuse dans sa tenue des Folies-Bergères, costume de plumes et seins nus, avaient été jugées «pornographiques» par la poste. En mai 2007, après de longues tractations et grâce au soutien d'une association de défense des libertés civiles, la NYCLU, M. Baker avait fini par obtenir gain de cause.

«Si cela avait été une photo de Joséphine, une photo en noir et blanc, on n'aurait pas eu le droit de la passer, mais c'était une oeuvre d'art, faite par un dessinateur, et je savais que j'avais un droit légal aux États-Unis», dit-il à l'AFP.

Un an après, l'émission du timbre, même sans gorge découverte, est vécue par M. Baker comme «une douce vengeance». «Cela m'a beaucoup amusé quand la Poste m'a téléphoné et m'a dit: «Monsieur Baker on vous envoie une limousine avec chauffeur, s'il vous plait, venez honorer la mémoire de votre mère adoptive au Musée de Newark»».

«Mais je ne veux pas être mesquin, et naturellement je vais parler au Musée de Newark, au nom de Joséphine et des gens de couleur de son temps. Mais tout cela est très ironique».

Selon lui, le refus de l'image dénudée par les Américains aurait amusé la chanteuse de la Revue nègre, décédée à Paris en 1975. «Joséphine aurait dit: il n'ont pas changé et elle aurait éclaté de rire».

«La nudité de Joséphine en Europe, chez les Blancs, était un acte de vengeance. C'était dire: aux États-Unis je suis trop noire pour certains, et je suis trop blanche pour d'autres». «Aux Folies-Bergères, en 1926, elle avait les seins nus, elle avait les bananes, c'était une sorte de vengeance. Vous trouvez que mon corps n'est pas assez beau pour les Blancs ou pour les Noirs? Allez vous faire voir, voilà comment je suis!»

Selon lui, le talent de Joséphine avait auparavant été reconnu aux État-Unis, où elle était née à Saint Louis en 1906. Mais ses débuts ont été difficiles, car l'artiste était victime, d'après lui, à la fois du racisme des Blancs et des Noirs plus noirs qu'elle.

«Pendant 15 ans, à Saint Louis, Joséphine était trop claire, comme Barack Obama, pour sa propre mère, pour son demi-frère et ses demi-soeurs. Mais elle arrive à 15 ans à Broadway, où elle a introduit le talent noir dans la scène».

Aujourd'hui, poursuit M. Baker, «je suis sûr qu'elle serait enchantée, qu'elle serait émue de voir que son pays d'origine lui fait ce grand honneur: il y a très peu de gens qui ont leur timbre: il y a les présidents des États-Unis et maintenant, il y a Joséphine Baker».

Et d'ajouter: «Ce qui me chagrine, c'est qu'aujourd'hui, grâce aux temps modernes, on ne lèche plus les timbres (qui sont pré-collés). J'aurais aimé que les gens puissent lécher l'image de Joséphine, c'est mon seul petit regret».