Après sa fresque intitulée Un jardin de papier (dont la traduction de Sophie Voillot a reçu le prix du gouverneur général en 2006), l'auteur canadien Thomas Wharton s'est attelé à un étonnant et - il faut le dire - fascinant projet littéraire: celui de créer de toutes pièces une bibliographie de livres imaginaires qui ferait à la fois figure de roman et d'essai baroque.

Il en résulte ce que Bukowski se plaisait à nommer goulûment un «ragoût», un ensemble de trouvailles littéraires hétéroclites formant pourtant un condensé à la fois déjanté et luxuriant. Ce Logogryphe visiblement écrit avec un plaisir incommensurable se décrypte donc avec la joie du découvreur d'agates. Offrant toujours au lecteur l'écho d'une oeuvre romanesque empruntant à la tradition, peignant une génération sise dans une maison dont le coeur bat dans les murs, Wharton se prête parallèlement à l'élaboration d'une mythologie du livre, considérant de prime abord celui-ci comme une entité vivante ou à tout le moins hantée.

Non seulement y fait-on la connaissance du logogryphe éponyme, créature insaisissable vivant dans les livres, mais on découvre que certaines pages hardies ont un instinct nomade et que les personnages peuvent, bien malgré eux, glisser hors du roman de gare oublié. Sans oublier les esprits qui, semblent-il, s'assemblent toujours autour du lecteur silencieux afin de lire par-dessus son épaule innocente.

Toujours chevauchant le récit et s'amusant avec les formes narratives, Wharton s'interroge aussi sur l'origine de l'écriture à travers un franciscain troublé par les contes païens ou la mégalomanie de l'empereur Ho Ti. Il questionne également les lieux du livre, imaginant une architecture en ruine dont «l'action corrosive du temps use la ponctuation puis, avec les années, les métaphores».

Mais l'auteur s'amuse surtout avec la portée de la fiction, nous présentant des auteurs fictifs aussi séduisants que leurs propres créations littéraires dont on se surprend à vouloir retrouver au hasard de nos pérégrinations l'intégralité. Il emprunte, aussi, et digresse avec doigté, prêtant à Archimède une extension poétique de ses corps flottants ou suggérant un répondant atlante au poète Rupert Brooke par l'entremise d'une analyse succulente des divers courants littéraires de l'Atlantide, de sa littérature indigène à ses nouvelles voix immigrantes.

La structure bibliographique de l'ouvrage nous permet de jeter un regard débridé sur la littérature, du livre ennuyeux au bouquin pour gens pressés, de celui qui se lit dans l'eau à celui qui «dit tout» en une énumération d'impressions, d'odeurs, d'objets, référents éparses, tout autant d'ancrage à l'imaginaire narratif. Pour lecteurs fantasques, bibliophiles, ardents ou curieux. Un pur bonheur.

Logogryphe

Thomas Wharton, Traduction de Sophie Voillot Éditions Alto 194 pages 20,95$