Je ne trouve pas plus jolie façon de décrire l'adolescence que cette phrase de Pierre Gagnon: «L'âge où on souhaite être un adulte durant la moitié de la journée et où, durant l'autre, on pleure assis dans une piscine carrée, parce que l'eau sent la grenouille.»

Je ne trouve pas plus jolie façon de décrire l'adolescence que cette phrase de Pierre Gagnon: «L'âge où on souhaite être un adulte durant la moitié de la journée et où, durant l'autre, on pleure assis dans une piscine carrée, parce que l'eau sent la grenouille.»

Les tourments adolescents, lyriques, se prêtent si bien à la littérature qu'il m'arrive de croire que le point culminant de l'expérience de la lecture s'y situe, entre la limonade, le fou rire et la déferlante. Encore faut-il que l'oeuvre entre les doigts fourmille d'avenues non explorées et invitantes. C'est le cas, entre autres, du recueil de nouvelles d'Anita Van Belle, Les garçons, les filles, publié aux 400 Coups et qui remet en question la bluette romantique adolescente pour offrir au jeune lecteur une nouvelle facette du miroir.

Basant ses nouvelles sur les sentiments bizarres qui nous assaillent à cette époque trouble de la vie, Anita Van Belle présente une galerie de personnages ayant un pied dans la magie de l'enfance et l'autre dans la brusquerie du monde adulte. Amoureux, certes, mais ni du prince charmant ni de la princesse. Chez Van Belle, les garçons et les filles ont le coeur dans la gorge, les poings serrés, le ventre en feu. Les récits se promènent de la mer à la ville, d'une famille à une autre, la cruauté de l'enfance se transformant en désir violent, coupable ou trivial. Bien sûr, certaines nouvelles sont crues, et chatoyantes. Comme un reflet de cette étrange période où tout déborde.

C'est également le cas du roman de Susan Vaught Une chaussette dans la tête, écrit à la façon d'un journal intime, celui de Jersey Hatch, ado atteint de troubles de mémoire et de langage à la suite d'une blessure par balle. Ne pouvant parler sans s'embrouiller, il consigne ses impressions et cherche à comprendre ce qui s'est passé, refusant de croire qu'il a tenté de mettre fin à ses jours comme tout son entourage s'échine à le lui rappeler. Un grand livre où la conscience joue avec le mensonge comme des fantômes, où les souvenirs et les sentiments s'emmêlent. Écrit comme un polar, l'habile roman permet au lecteur d'entreprendre la même odyssée que le protagoniste à la recherche de son assassin ou de la source de son mal-être. Brillant, bien écrit, bouleversant.

Si le suicide n'est pas systématiquement à l'ordre du jour dans le quotidien de nos ados, il est vrai que l'adolescence demeure une période difficile où l'on enjambe le désespoir comme autant de trous d'eau. Les filles ne font pas exception. Le nouveau roman de Charlotte Gingras (deux fois lauréate du prix du Gouverneur Général, Un été de Jade, La liberté... connais pas), Ophélie, traite également de façon poétique du malaise adolescent. Écrit aussi à la manière d'un journal intime, le texte est toutefois agrémenté d'illustrations fragmentées de Daniel Sylvestre, rappelant les gribouillis que l'on trace, la main fébrile, le coeur en charpie.

À l'opposé du personnage dont elle s'est elle-même donné le nom, Ophélie montre facilement les dents, choisissant de faire le mur pour ne pas recevoir de coups. Emprisonnée dans sa carcasse de dure à cuire, elle s'ouvre néanmoins à Ulysse, un camarade d'école avec qui elle partage secrètement un local désaffecté. Entre insultes, confidences et épanchements, les deux ados joignent peu à peu leur solitude et le lecteur découvre, au rythme des aveux étalés dans le journal, qu'Ophélie apprend à ne plus se noyer tout en noircissant les pages de son cahier. Encore une fois très loin de la savonnette sentimentale et pourtant tout en tendresse.

Enfin, sur une note plus légère, Élizabeth Craft et Sarah Fain poursuivent dans la même veine que Jodi-Lynn Anderson (Peau de pêches) et signent Comme des soeurs, le nouveau roman de l'été que les adolescentes dévoreront sans doute avec beaucoup d'appétit. On y retrouve quatre amies au seuil de la vie adulte qui choisissent de faire un pacte, celui de sortir dès maintenant du sentier tout tracé. Les thèmes chers à Anderson (l'émancipation, le gouffre de la liberté) y sont présents et l'une des protagonistes se brûlera aussi les ailes à rester trop près du gaz. Moins dense, moins introspectif, mais rafraîchissant.

Les garçons, les filles

de Anita Van Belle

Éditions 400 Coups 152 pages, 14,95$ 14 ans et +

Une chaussette dans la tête

de Susan Vaught

Éditions Milan 354 pages, 17,95$ 14 ans et +

Ophélie

de Charlotte Gingras

Éditions La Courte Échelle 261 pages, 19,95$ 14 ans et +

Comme des soeurs

de Élizabeth Craft et Sarah Fain

Éditions Albin Michel 442 pages, 21,95$ 13 ans et +