France Beaudoin m'attend à la taverne Monkland, dans Notre-Dame-de-Grâce. L'animatrice de Bons baisers de France présentera aussi la saison prochaine une émission musicale le vendredi soir à Radio-Canada. Le départ de TVA de l'ex-fille du matin avait fait beaucoup couler d'encre il y a trois ans et demi, en raison d'une maladresse d'un patron, qui avait révélé son nouveau salaire. Entrevue (sans doute complaisante) sur la complaisance.

Marc Cassivi: La guerre des réseaux de télévision semble plus forte que jamais. Ton départ de TVA a été traité à l'époque de façon maladroite. As-tu été surprise par la manière dont ça s'est déroulé?

France Beaudoin: Surprise, tu dis? Je n'ai jamais souhaité que ça se passe de cette façon.

M.C.: Tu as fait les frais de cette guerre-là...

F.B.: J'ai entendu Philippe Lapointe (NDLR: l'ancien vice-président à la programmation de TVA) dire à la radio que ça avait été une peine d'amour mal gérée. Je comprends ça. J'ai bien aimé son image. Mais j'espère que ça ne se reproduira plus. Dans notre métier, on ne peut pas reprocher à quelqu'un d'aller voir ailleurs.

M.C.: Je trouve que tu as un ton invitant qui convient bien à la formule du talk-show. D'autres te trouvent complaisante. Comment tu réagis à ce genre de critique?

F.B.: Quand il y a des questions à poser, je les pose. J'en échappe, c'est sûr. Mais il y a un ton à trouver. Avant de poser une question, je pense au ton. Ça dépend beaucoup de l'invité et du thème abordé. On parle de la complaisance quand on parle des shows de plogues. Je me mets à la place de l'artiste et je pense qu'il y a une façon de faire de la plogue. Devoir faire n'importe quoi sauf parler de son oeuvre quand on y travaille depuis trois ans, ça peut être insultant. Dans Studio 12 (NDLR: émission qu'elle animait à la radio de Radio-Canada), on ne parlait que de musique, pas de «aimais-tu la crème glacée quand t'avais 7 ans?».

M.C.: Est-ce que ça te blesse d'être traitée de complaisante?

F.B.: Si on m'avait dit ça il y a 20 ans, j'aurais probablement été démolie. Ce n'est pas nécessairement un compliment... Aujourd'hui, j'assume les choix que je fais. Je pense qu'un talk-show peut être convivial, agréable, confortable. On peut tirer bien des choses d'un invité lorsqu'on a créé un climat de confiance. Il reste que ce n'est pas un hot seat. Je ne pose pas des questions avec un coup de poing sur la table. Mais ce n'est pas parce que ce n'est pas un hot seat que c'est dépourvu d'intelligence. C'est beaucoup une question de perception. On peut aimer, on peut ne pas aimer, mais je ne m'empêche pas de poser une question que je sens pertinente.

M.C.: Je trouve qu'il y a beaucoup trop de complaisance à la télévision. Mais effectivement, ce n'est pas parce qu'on a un ton généralement sympathique qu'on est complaisant. Je me souviens d'entrevues que tu as faites où je te trouvais tout sauf complaisante. Avec Isabelle Maréchal entre autres...

F.B.: Les invités qui viennent savent que s'il y a un sujet d'actualité qui les concerne, il sera abordé. Je ne pose jamais de questions sur la vie privée, même si ça fait la une des magazines. À moins que ce ne soit d'intérêt public.

M.C.: Comme Julie Couillard...

F.B.: Exactement. Je me souviens qu'au début de Bons baisers, beaucoup de journalistes se demandaient si j'allais être trop fine avec les invité, trop conviviale. Ça revenait constamment. Chacun a son opinion là-dessus.

M.C.: Parce que profondément, ta nature est d'être fine?

F.B.: Je ne sais pas si je suis fine. Mais je pense qu'il y a moyen de poser toutes les questions. Tout dépend du ton. Si je devenais hyper cassante, ce ne serait pas bon pour l'émission. Je suis convaincue que je n'arriverais à rien en faisant ça. Je n'ai pas besoin de marquer mes questions au fer rouge. Je ne veux pas que mes questions prennent plus de place que les réponses. Je veux que ça ait l'air d'une discussion, sans qu'on sache trop où ça s'en va...

M.C.: Comme moi!

F.B.: Exactement! (rires)

M.C.: J'ai seulement l'air de ne pas savoir...

F.B.: J'ai bien compris ton plan de match. C'est un sujet qui m'intéresse, la complaisance. Moi, je crois au bonheur, même si c'est peut-être mal vu. Et je crois aussi au plaisir que peuvent dégager les choses. Les émissions d'affaires publiques sont nécessaires, mais je crois aussi au plaisir qui peut être communiqué par la télévision. Ce n'est pas rien.

M.C.: Tu dégages quelque chose de souriant et de sympathique dans ta façon de faire les choses, ce qui pousse les gens à te qualifier de complaisante. C'est effectivement une question de perceptions. Au Québec, on ne dit pas de George Stroumboulopoulos, l'animateur de The Hour à la CBC, qu'il est complaisant. Il est pourtant très loin du hot seat lui aussi. Il a un ton très sympathique. Il n'y a pas deux poids, deux mesures?

F.B.: Ça se joue peut-être au niveau de l'image, de ce qu'on reflète.

M.C.: Lui a un look un peu plus punk-rocker...

F.B.: Parfois, on reste sur une première impression. Honnêtement, ça ne me dérange pas. Ce que j'ai appris entre autres, en quittant TVA - parce que ç'a tellement cogné fort -, c'est que la vie continue. Il y a des critiques. C'est normal. Je tiens compte des critiques, même si tout ce qui y est dit n'est pas vrai. Je ne fais pas de la télévision seulement pour moi. J'ai appris à ne pas me gargariser de mes succès et à ne pas être démolie par mes échecs.

M.C.: Tu parles de perceptions. Pour la personne qui fait un salaire moyen, le fait que ton salaire ait été dévoilé a fait de toi un bouc émissaire pour ceux qui jalousent la richesse des autres. Même s'il y a des gens en télévision qui font beaucoup plus d'argent que toi...

F.B.: Je le comprends. Mais je n'ai tellement pas choisi de quitter TVA pour l'argent. Honnêtement, je n'ai jamais voulu donner les détails de toute cette histoire, mais ma sécurité professionnelle et financière, à long terme, était bien plus à TVA qu'à Radio-Canada. J'avais des offres à TVA. Mais Mario Clément a pris le risque de me faire confiance et il m'a soutenue dès le premier jour. Je lui dois beaucoup.