L'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, décédé dans la nuit de dimanche à lundi à l'âge de 89 ans, a joué un rôle historique en révélant aux Russes et au monde entier l'univers inhumain des camps soviétiques, auquel il a donné un nom, celui de l'Archipel du Goulag.

Patriote habité par une force prophétique et une détermination comparables à celle d'un Dostoïevski, certain d'être élu par le destin qui lui avait permis de vaincre un cancer, l'écrivain dont la longue barbe le faisait ressembler aux grands intellectuels du XIXe a consacré sa vie à lutter contre le totalitarisme communiste.

Né le 11 décembre 1918 dans le Caucase, il adhère aux idéaux révolutionnaires du régime naissant et fait des études de mathématiques. Artilleur, il se bat courageusement contre les troupes allemandes qui attaquent l'URSS en 1941, mais il ne voit pas le danger de son côté du front. Ayant critiqué les compétences guerrières de Staline dans une lettre à un ami, il est condamné à huit ans de camp en 1945.

L'expérience le marque à jamais et l'engage sur un chemin d'exception. Libéré en 1953, quelques semaines avant la mort de Staline, il est exilé en Asie centrale et commence à écrire, puis revient dans la partie européenne de l'immense pays pour devenir enseignant à Riazan, à 200 km de Moscou.

Le nouveau maître de l'URSS, Nikita Khrouchtchev, donne son feu vert à la publication, dans la revue littéraire non-conformiste Novy Mir, d'Une Journée d'Ivan Denissovitch. Le récit sur un détenu ordinaire du Goulag paraît le 18 novembre 1962.

Un tabou est brisé, une onde de choc parcourt l'URSS et secoue les milieux pro-soviétiques du monde entier, des millions de gens ayant séjourné dans les camps se sentent libérés une deuxième fois.

Mais le dégel khrouchtchévien n'est pas fait pour durer, contrairement au Goulag, qui continue à exister.

Soljenitsyne continue à écrire, mais ses livres, Le Pavillon des Cancéreux, puis Le Premier Cercle ne sortent qu'en «samizdat», les éditions clandestines, et à l'étranger, où ils connaissent un grand succès.

La stature de l'homme le protège encore, mais lorsqu'il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1970, il renonce à aller à Stockholm, craignant ne pouvoir rentrer dans l'URSS de Léonid Brejnev.

Entre les pressions du KGB et celle de sa mission, le caractère difficile de l'écrivain ne s'améliore pas et son premier mariage se termine par un divorce.

Soljenitsyne est en train de terminer l'oeuvre de sa vie, L'Archipel du Goulag, une grande fresque historico-littéraire sur les camps, qui sera publiée à Paris dans les années 1970, suscitant à nouveau un grand écho dans le monde entier.

C'en est assez pour le Kremlin et l'URSS expulse le citoyen Soljenitsyne vers l'Occident. Il vit d'abord en Suisse, puis s'établit aux Etats-Unis, dans le Vermont.

L'Occident découvre alors que l'homme qui avait fait trembler Moscou est un conservateur orthodoxe et slavophile, souvent très critique à l'égard de sa société de consommation.

En 1994, il retourne triomphalement dans la nouvelle Russie, mais là aussi, souvent pessimiste, il a du mal à trouver sa place dans la nouvelle réalité post-communiste, même s'il exprime des vues partagées par ses compatriotes, demandant la peine de mort pour les terroristes ou approuvant l'intervention de l'armée en Tchétchénie.

Il se rapprochera toutefois du président Vladimir Poutine, dont il loua les qualités, même s'il constatera par la suite que ce dernier ne suit pas les conseils qu'il lui prodigue.

Il s'attaque alors à un autre sujet délicat, sinon tabou, les relations entre les Juifs et les Russes, déclarant vouloir favoriser leur compréhension mutuelle. Mais un responsable du Congrès juif russe critique vivement son ouvrage Deux siècles ensemble, estimant que les antisémites peuvent y trouver de nouveaux arguments.

Grand historien et écrivain politique, son talent littéraire a fait l'objet de jugements divergents, certains critiques le croyant éminent sur ce plan aussi, d'autres, tel l'écrivain ex-dissident Vladimir Voïnovitch, affirmant que son génie est un «mythe».