Une visite historique! Pour la toute première fois, le légendaire groupe rock The Stooges donnera un concert à Montréal, durant le festival Osheaga qui a commis l'impair de reléguer le nom de la bande à Iggy Pop en deuxième sur l'affiche, derrière les jeunes blancs-becs The Killers. Entrevue avec le guitariste Ron Asheton, qui a décidément connu une vie musicale injuste...

C'en est presque devenu une blague. Six fois The Stooges a été pressenti à l'intronisation au Rock and Roll Hall of Fame. Six fois on leur a refusé l'entrée au panthéon du rock.

En mars dernier, c'est à Madonna qu'on accordait cet honneur. Pour l'occasion, et aussi en signe de protestation, elle a imposé les présentateurs de son hommage au comité organisateur. Iggy Pop & The Stooges ont alors interprété Burning Up et Ray of Light. Leur seule participation à une cérémonie d'intronisation...

Mais ces jours-ci, rien n'est à l'épreuve de la bonne humeur de Ron Asheton, pas même une cérémonie bigote. Au bout du fil, de retour d'un séjour de deux semaines en France, le guitariste jubile. Il est ravi de venir jouer à Montréal - de jouer tout court, devant autant de fans, pardi! «J'adore regarder les visages des gens, constater leurs différents états d'ébriété, voir leurs yeux gros comme dans les cartoons, sayin' like: Holy Cow!»

Il y a aussi d'autres avantages à concrétiser une telle réunion: «Il y a deux ans, j'ai acheté ma toute première voiture neuve, grâce au retour des Stooges. Hé, c'est la première fois de ma vie que je peux acheter une voiture moi-même, sans emprunter d'argent à ma famille, et surtout sans me retrouver avec une Cadillac 1961 pourrie et dont j'ignorais que le moteur était craqué... T'imagines?»

Injustice, encore. «Originellement, il nous fallait rembourser la compagnie de disque pour les dépenses relatives à ces disques avant d'en voir l'argent. Je n'ai pas vu un sou de ces albums avant le milieu des années 90, et seulement parce que Iggy a traîné la compagnie devant les tribunaux», déplore Ron Asheton, qui a pourtant coécrit la majorité des chansons des deux premiers disques.

«À l'époque, on faisait environ 50$ par semaine, ajoute Asheton. Assez pour manger du riz et des fèves tous les jours, et s'acheter quelques disques. Franchement, je suis emballé de voir que le public est aussi content de nous voir sur scène, mais d'avoir de l'argent dans le compte de banque, ce n'est pas désagréable non plus...»

Boudés par le succès

La reformation de The Stooges avec Iggy Pop, plus de 30 ans après la fin de la tumultueuse tournée de l'album Raw Power (1973), permet à Ron et son frère Scott, batteur, de goûter à ce succès qui les a boudés lorsque le groupe a gravé sa courte oeuvre, entre 1969 et 1973.

Boudé, le mot est faible. Leurs trois albums, The Stooges (1969), Fun House (1970) et Raw Power, ont tous été jetés par la critique (à l'exception de Lester Bangs, qui adulait Iggy Pop) et mal fait au palmarès des ventes de disques lors de leur parution. «On adorait recevoir de mauvaises critiques, avoue le guitariste. Surtout celles écrites par les critiques «établis». On se les lisait à voix haute, juste pour rigoler, en se disant: si on est tellement détestés, j'imagine que les gens viendront à nos concerts par curiosité. Ça nous a servis, finalement, je crois.»

Et pourtant, rares sont les groupes rock à avoir eu autant d'influence sur leurs contemporains. Le son proto-punk fortement teinté de blues du groupe a autant fait germer la scène punk (Sex Pistols, The Clash) et glam (David Bowie, T-Rex) britanniques que la scène art-rock américaine (Sonic Youth). Le jeu de guitare de Ron Asheton était inouï à l'époque: primitif et inspiré, son style faisait un usage particulièrement bruyant et envoûtant de la pédale fuzz.

N'omettons pas de mentionner que les performances scéniques d'Iggy Pop étaient légendaires. «Iggy se fait encore lancer des objets durant les concerts, dit le guitariste. La semaine dernière, en France, j'ai vu atterrir une bouteille de bière juste devant mes pédales! Les gens les lancent encore bouchées, comme ça, elles explosent sur scène. Lorsque je joue, je regarde toujours vers la foule, c'est plus sûr.»

Iggy Pop était déchaîné sur scène, choquant même pour l'époque, alors qu'il s'automutilait sur scène, se tartinait de viande hachée et plongeait dans la foule. The Stooges, c'était l'incarnation musicale du danger. Ce qui explique peut-être pourquoi il a fallu plus de 20 ans avant que le groupe pionnier ne soit enfin reconnu par le grand public à sa juste valeur.

«En concert, j'adore voir la réponse de la foule lorsqu'on se lance dans I Wanna Be Your Dog, dit-il dans un grand rire. C'est très gratifiant. N'est-ce pas pourquoi on fait ce métier?»