La chanteuse des Rita Mitsouko poursuit sa tournée, sans Fred Chichin emporté par un cancer fulgurant en novembre dernier. L'occasion pour Catherine Ringer de célébrer le répertoire des Rita, l'oeil rivé vers l'avenir. Elle vient d'ailleurs de participer avec le chanteur italien Mauro Gioia à l'album Rendez-vous avec Nino Rota, en hommage au compositeur fétiche de Fellini.

Q : Comment se déroule cette tournée cconsacrée au répertoire des Rita Mitsouko?

R : J'éprouve de la joie, mais pas seulement. On ne fait pas toujours les choses pour être joyeux. La grande course au bonheur permanent, ça va, merci! On ne fait pas de la scène que pour s'éclater, «prendre son pied» comme on disait dans les années 70. C'est un métier, la scène. Pour faire simple, je m'y sens à ma place, tout simplement. Je sens une attente, des deux côtés. D'ailleurs, on est tous du même côté dans un spectacle.

Q : Vous appréhendiez de retourner sur scène après la disparition de Fred Chichin?

R : Non, au contraire C'était nécessaire. Il fallait terminer cette tournée interrompue par la disparition de Fred. Pour lui rendre hommage, pour boucler la boucle et terminer l'histoire. Sur l'affiche de la tournée, il est écrit: «Catherine Ringer chante les Rita Mitsouko and more». On est dans une période de transition. Je ne vais pas poursuivre à vie ma carrière sous le nom des Rita Mitsouko.

Q : Vous ne comptez pas mettre un terme à votre carrière

R : Non. Je repense à cette chanson de notre dernier album, Rendez-vous avec moi-même. Elle prend aujourd'hui un sens particulier. Beaucoup de choses sont envisageables. Je peux continuer avec d'autres artistes, être simple interprète, composer C'est d'ailleurs ce qui me tente le plus. Pas forcément en solitaire, moi j'adore le travail d'équipe. Je n'aime pas forcément chanter toute seule. Bon là, ça s'est fait comme ça. Rien n'est exclu, je vais peut-être même enregistrer un album en solo, pour voir. Tout cela est encore assez théorique. Je n'ai pas encore de noms d'artistes en tête, d'idées de collaboration. Mais je suis assez ouverte. Je me donne du temps.

Q : Sur scène, vous reprenez plusieurs chansons anglo-saxonnes, dont Red Sails de Bowie

R : Oui, je voulais la chanter en français. Je m'y suis collée durant trois jours. Le résultat n'était franchement pas terrible. Et puis, je me suis rendu compte que la chanson parlait des jeunesses communistes. Je n'avais jamais fait attention! C'est plutôt amusant, mais je ne me voyais pas chanter en français une chanson sur l'embrigadement des jeunes par les cocos. J'ignorais comment le public allait l'interpréter. Donc, finalement, on reste en anglais, dans la version originale (rires).

Q : Pourquoi cette chanson en particulier?

R : J'adore l'album Lodger pour son côté éclectique, hyper varié dans les ambiances musicales. Fred et moi, on rêvait de faire des albums de cette richesse. On l'écoutait en boucle, on redécouvrait constamment de nouveaux arrangements. Et nous n'étions, évidemment, jamais d'accord sur les paroles. Il aurait fallu un prof d'anglais pour nous départager. Et encore Chacun avait sa propre interprétation. Sur la chanson DJ, une phrase dit: «I'm a DJ, I am what I play». Pour Fred, c'était un peu péjoratif, du genre: «Tu n'es qu'un DJ qui n'est que ce qu'il joue.» Et moi, je pensais l'inverse, je lui disais: «Tu ne te rends pas compte de tout ce qu'on peut être, puisqu'on est ce que l'on joue.» Bref, on passait nos nuits en discussions philosophiques et engueulades sur le sens profond des chansons de Bowie. Et sur plein d'autres chansons.

Q : Par exemple?

R: Pour la reprise de la chanson A Man Needs a Maid de Neil Young, on s'est pas mal étripé. En gros, c'est l'histoire d'un type abandonné par sa femme. Il aimerait bien engager une bonne femme qui viendrait chez lui faire son ménage, et basta. Pour moi, maid en anglais, ça veut dire femme de ménage. Pour Fred, c'était une jeune fille, celle qui tient le foyer éveillé. Le foyer, comme dans la guerre du feu. Le feu de la maison, de la famille, des générations futures. Et il m'engueulait, «c'est quoi, cette vision réductrice, tu crois qu'un auteur comme Neil Young chanterait, un homme a besoin d'une boniche?»

Q : Évoquer le souvenir de Fred vous fait du bien?

R : Oui ça fait plaisir, ça me fait du bien. Forcément, il est partout. Le manque fait que la personne apparaît dans sa quintessence, dans ses meilleurs conseils, ses meilleurs avis, son fond, ce qu'il a donné On a passé énormément de temps ensemble. Mais voilà, c'est la vie, et la mort en fait partie, comme on dit. Et puis les histoires de vie, de mort, la souffrance, je les ai suffisamment chantées Du coup, pour le public, beaucoup de nos chansons évoquent forcément la disparition de Fred. «Les histoires d'amour finissent mal», Marcia Baïla et son refrain: «C'est la mort qui t'a emporté» Il est très absent, Fred. Il était là, il y a encore huit mois. Et là, il brille par son absence.

Q : Vous aviez déjà donné des concerts toute seule avant sa disparition

R : Quand il a commencé à être malade, j'avais fait, à sa demande, une dizaine de concerts sans lui. Je pensais vraiment qu'il allait revenir. À l'époque, je ne disais pas tout de suite: «Fred est malade.» En général, j'attendais trois chansons pour dire: «Comme vous avez pu le remarquer, son état de santé ne permet pas à Fred d'être là, mais on continue, à sa demande expresse.» Il m'avait déjà encouragé à chanter seule, il me disait: «Si tu le désires, tu peux chanter sans moi, de toute façon le spectacle, c'est toi, la chanteuse. Je n'ai pas une présence monstrueuse. Derrière, cela pourrait être quelqu'un d'autre.» Fred, il avait une concentration, une présence, une certaine désinvolture qui faisait contraste avec mon jeu de scène très visuel. Mais sa présence musicale était très importante. Il possédait une présence rythmique incroyable, il savait tenir la chanson à coups de riffs sans baisse de régime.

Q : Vous reprenez également After Hours, une chanson du Velvet Underground chantée par sa batteuse, Moe Tucker

R : Cette chanson m'a toujours émue et touchée au coeur depuis sa sortie. J'avais 12 ans et je la chantais en écoutant le disque. Les paroles, les expressions, comme «forever», «the door» m'ont énormément inspirée pour les toutes premières chansons avec Fred. Je tenais à la chanter en public. Certaines phrases possèdent également une résonance particulière, comme «If you close the door, the night could last forever» Elle pourrait presque s'adresser à Fred, être «Fred a fermé la porte».

Q : Vous déployez une palette vocale toujours aussi riche: de la chanson en passant par les vocalises d'opéra, l'énergie punk-rock, les arabesques orientales

R : Oui. La voix, c'est un instrument génial et passionnant. Et j'aime spontanément l'imitation.

Q : On l'observe également dans votre jeu de scène. La dimension visuelle et l'expression corporelle, c'est important?

R : Oui, mais la voix est une expression corporelle. Elle vient du corps, directement. La corde vocale, c'est de la chair, du muscle. Après, je fais principalement de la musique. Pour faire un concert, on n'est pas obligés d'avoir de la présence physique. J'ai vu beaucoup de concerts géniaux avec des artistes statiques. Mais si on a la chance d'aimer danser, jouer et interpréter une chanson d'une manière expressionniste, tant mieux.

Q : Vous semblez prendre un malin plaisir à chanter La berceuse, tirée du dernier album des Rita

R : Oui, c'est une chanson de personnages. D'un côté une horrible mère possessive et infernale. De l'autre, un enfant faible et passif. C'est la berceuse rock d'une mère vamp assez effrayante. Très marrant à chanter, en terme d'interprétation. Elle commence comme une berceuse et bifurque vers un rock saturé. J'adore jouer sur ce contraste entre le côté berceuse et le côté rock assez trash.

Q : Sur scène, vous interprétez également une chanson en italien. Vous pouvez chanter en combien de langues?

R : En français, mais ce n'est pas un scoop. En anglais, en italien, comme vous le savez. J'ai aussi chanté en chinois, c'était marrant. En portugais et en russe, également. J'adore travailler les morceaux du répertoire russe comme Prokofiev.

Q : Comment vous pourriez décrire votre coupe de cheveux à la fois élégante et spectaculaire?

R : Une banane choucroutée. C'est une belle métaphore. Et je suis ma propre coiffeuse! J'ai toujours aimé me coiffer et comme je ne le fais pas trop mal, je m'en charge toujours. On fait avec ce qu'on a! C'est aussi une petite mise en condition avant le concert. Comme pour tous les gens du spectacle, que ce soit dans la tragédie, le cirque, la danse, même l'avocat qui enfile sa robe avant de plaider Il y a une préparation, on se retrouve face à soi-même avant la représentation. Bon, au fil du concert elle tombe un peu. Elle retombe comme un soufflé (rires).

Catherine Ringer chante Les Rita Mitsouko and more, le 27 juillet, 21h, au Métropolis.