Unique roman de l'auteur colombien Antonio Ungar traduit en français à ce jour, Les oreilles du loup offre une incursion impressionniste dans le monde de l'enfance. Il rappelle à la fois l'assemblement de touches sensibles du livre Le bruit et la fureur de Faulkner et l'imagerie du Cria Cuervos de Carlos Saura.

Ce petit bijou de roman repose sur une suite de chapitres courts classés en deux catégories: les jours sombres et les jours clairs, soulignant déjà le caractère entier (typique de son jeune âge) du personnage principal. Celui-ci, pose un regard neuf et franc sur le monde qui l'entoure, empoignant les angoisses tout comme les bouffées de bonheur d'un même élan.

Épris de liberté, courant dans la savane les yeux fermés pour mieux en capter la magnitude, l'enfant saisit rapidement la qualité intrinsèque de ses enivrements. «Je suis un enfant, mais aussi autre chose, autre chose beaucoup plus fort.» Si sa petite soeur au faciès de chat connaît déjà les vertus de la joie, même lorsqu'elle est assaillie par un essaim d'abeilles, le garçonnet hésite entre les pulsations du grand tigre qu'il sent battre en lui et le désarroi.

Le lecteur, ensorcelé par le vent de la savane, jauge l'espace, le temps et les hommes à la hauteur du bambin, appréhendant par bribes ce qui l'entoure, se coulant avec félicité dans le flou de l'enfance. On assiste ainsi à la fuite du père par une nuit d'orage, ce père qui rejoint le rang des étrangers, devenant une pâle copie de l'original qui réapparaît, parfois, dans le brouillard. Les adultes pleurent, crient à faire trembler la maison, pendant que les grenouilles coassent au jardin. Et lorsqu'on prend l'avion, celui-ci ne s'envole pas dans les airs. Par un procédé inexpliqué, on se retrouve plutôt dans un nouvel engin sur le sol d'un pays différent.

Aussi, l'auteur décrit avec une sensibilité étonnante le tourbillon d'émotions qui étreint l'enfance, de l'amour éperdu, mélange de désir physique et de romantisme naïf, que le garçon éprouvera pour sa cousine Aldana jusqu'au bonheur vif et presque brûlant des journées d'été à la campagne.

Au fil des pertes et des enchantements, Antonio Ungar nous fait voyager de la savane à la «ville froide», de la jungle aux Llanos orientales, au rythme des pérégrinations d'un enfant qui capte, non sans effroi, la magie de l'existence. On attend impatiemment un traducteur inspiré pour jouir également du deuxième roman (Zanahorias voladoras, 2004) de ce jeune auteur, l'un des plus prometteurs de l'Amérique latine.

Les oreilles du loup

Antonio Ungar Éditions Les Allusifs 130 pages, 19,95$