À 76 ans, Jean-Pierre Marielle est devenu, à l'instar de Jean Rochefort ou Claude Rich, l'un des glorieux «seconds rôles» du cinéma français. Depuis l'âge de 16 ans, il a tout joué et dans tous les registres: théâtre, cinéma, radio, télévision. «Les seconds rôles, c'est très agréable», dit-il. Aujourd'hui, il incarne Groucho Marx, dont il interprète la correspondance dans un spectacle mis en scène par Patrice Leconte. «Groucho Marx? Un grand surréaliste!»

Immeuble moderne situé à la lisière de Paris. Ou plutôt: à 10 mètres, puisque nous sommes à Boulogne et que la capitale commence sur le trottoir en face. Appartement a priori banal, mais qui se situe au rez-de-chaussée et dispose d'un jardin privé, un luxe inouï dans cette région surpeuplée du monde.

Confortablement calé dans un fauteuil, un grand énergumène, mince et large d'épaules, et à qui on ne donnerait certainement pas ses 76 ans. Avec sa haute taille, son front dégarni, il a eu très tôt l'air d'un homme mûr. Mais, malgré ses cheveux gris, il n'a pas l'air tellement plus vieux aujourd'hui qu'en 1974, lorsqu'il jouait le flamboyant marquis de Pontcallec, dans Que la fête commence, de Bertrand Tavernier, en compagnie de ses vieux copains Philippe Noiret et Jean Rochefort.

On l'aura deviné. Le grand énergumène s'appelle Jean-Pierre Marielle. L'un des plus célèbres comédiens français de son époque. Même s'il n'a jamais été à strictement parler une star. Mais, entré dans le métier a milieu des années 50, il a tout fait, pratiqué le théâtre d'auteur avec constance, joué dans une centaine de films, parfois tout en haut de l'affiche, connu les triomphes et les insuccès.

Avec la ferme intention de continuer à ce rythme fou, lorsque les rôles l'intéressent ou l'amusent. Est-ce qu'il n'a pas incarné le conservateur du Louvre - un rôle muet et l'un des plus courts de sa carrière - dans le Da Vinci Code, qui n'est pas exactement un chef-d'oeuvre? Mais il a aussi prêté sa voix au chef de cuisine dans le film d'animation Ratatouille. Avant de revenir à un film d'auteur de Noémie Lvovsky.

Quand on lui demande s'il a actuellement un film en marche, il se gratte la tête: «Est-ce que je tourne ces jours-ci? Oh là, je ne sais pas trop. Il faudrait demander à ma femme (la comédienne Agathe Nathanson, avec qui il s'est marié en 2003). Agathe, est-ce que je tourne actuellement?» Concernant Montréal, où il va interpréter la Correspondance de Groucho Marx, il a le geste noblement enthousiaste: «Ah! Montréal! dit-il de sa voix de violoncelle, j'adore! J'y suis allé souvent. Pour un tournage de film, notamment. J'y ai fait du vélo, c'était formidable.» Depuis des années qu'on voit épisodiquement Marielle faire la "promo" de ses films dans des émissions de télé, il a toujours été comme ça: faussement distrait, prenant des chemins de traverse: une façon de divertir son auditoire sans répondre aux questions.

À la question de savoir comment est né ce projet sur Groucho Marx, il est tout aussi perplexe: «Je ne sais plus. Leconte peut-être?» Quant au personnage qu'il incarne, il le trouve formidable, mais n'exclut pas Chaplin ou Buster Keaton. «Vous savez, les Marx Brothers, c'était toute ma jeunesse. Ah! Groucho, quel plaisir de dire ses mots! Un incontournable. C'est de la poésie, du surréalisme, Antonin Artaud en a parlé! Mais ne me demandez pas de choisir entre lui et Buster Keaton ou Chaplin: je prends les trois.» On n'en saura pas plus.

Vie de saltimbanque

Au mur de son appartement, une photo en noir et blanc de 1954. Prise le jour même où Marielle était reçu au Conservatoire de théâtre. Il a 22 ans. À une terrasse de café, déjà une gueule d'âge mûr. À la table, son copain Pierre Vernier, reçu le même jour et qui lui donne la réplique dans Groucho. Autre camarade de promotion, Françoise Fabian, grande comédienne de théâtre et de cinéma. Et Jean-Paul Belmondo, cigarette au bec, encore parfait inconnu. Il ne manque que Jean Rochefort, son inséparable copain, ou Claude Rich, autre fabuleux «second rôle».

Jean-Pierre Marielle jette sans se troubler un coup d'oeil sur la photo - «Elle était belle, Fabian, hein?» - donne des nouvelles de Belmondo, victime d'un grave AVC il y a quelques années - «Il va nettement mieux, il va même bien» ...

Un demi-siècle s'est écoulé depuis cette photo. Jean-Pierre Marielle a eu le temps de vivre mille vies: «Qu'est-ce que j'ai fait? Une vie de saltimbanque! À 16 ans, je jouais déjà au lycée, dit-il avec un geste vaguement fataliste. J'ai joué dans de petits théâtres aujourd'hui disparus. Au cinéma, jusqu'au premier grand succès avec Tavernier en 1973, j'ai longtemps joué les seconds rôles.C'est très agréable, les seconds rôles! Au milieu des années 50, j'allais faire du cabaret avec Guy Bedos. J'ai fait de la radio: on lisait de grands textes. J'adorais la radio. À la télé, j'ai été Philippe Le Bel dans Les templiers, à l'époque où l'on jouait les dramatiques en direct. Il y avait sur le sol des indications pour les déplacements, et une grande sirène annonçait le départ! Je vais vous dire: j'ai exercé mon art mineur de manière honnête.»

Il a joué de grands rôles dans de bons films qui n'ont pas eu de succès commercial, comme Les grands ducs de Patrice Leconte. Connu des triomphes inattendus comme dans Tous les matins du monde. Parmi les grands souvenirs qui lui viennent spontanément à la mémoire: l'aventure théâtrale qu'il a vécue dans les années 60, en compagnie de Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Bernard Fresson, à jouer des pièces de Pinter ou Stoppard au théâtre Antoine.

Est-ce à dire qu'il préfère le théâtre?

«Pas du tout! Pour moi, il n'y a pas de différence entre le théâtre et le cinéma. On a un rôle à jouer, ça vient ou ça ne vient pas, et c'est tout. Je n'ai jamais beaucoup réfléchi à tout ça. Bien sûr, un film ou un téléfilm peut avoir deux ou quatre millions de spectateurs, rien à voir avec la modestie du théâtre. Mais ça m'est égal: il n'y a pas si longtemps encore, il m'est arrivé de jouer devant des salles dégarnies. Il y a parfois des textes magnifiques qui ne trouvent pas leur public: on y a cru violemment, on a beaucoup donné, et le public ne vient pas. Ça ne fait rien. Ça ne me dérange pas. Il m'est aussi arrivé de m'ennuyer dans un grand succès. (Nouveau geste savamment désabusé.) Ah! vous savez...»

Correspondance de Groucho Marx, du 7 au 12 juillet, 20h, au Théâtre Jean-Duceppe.