La magie d'un livre sur une île perdue en pleine mer, menacée par la violence: voilà la recette du roman Mister Pip du Néo-Zélandais Lloyd Jones, et elle marche très bien. Je n'ai jamais lu de roman néo-zélandais, et je ne connais rien de ce pays à part l'agneau surgelé. Je crois que Mister Pip ne sera pas mon dernier roman de ce coin du monde.

L'action se déroule sur l'île de Bougainville, quelque part dans l'océan Pacifique. On ne nomme pas l'île; ce qui importe, c'est la guerre civile entre les Peaux-Rouges et les rebelles qui fait souffrir la population civile. Sur l'île, il ne reste qu'un seul homme blanc, les autres ayant fui. Il s'appelle Mr. Watts, il est instituteur, et sa meilleure élève sera la petite Matilda.

À cause du conflit, l'île est isolée de tout contact avec le monde, ce qui veut dire qu'aucun matériel scolaire ne passe. La classe de Matilda, quatorze ans, se retrouve avec un seul livre: De grandes espérances de Charles Dickens. Tout au long de l'année, Mr. Watts fera sa classe autour de ce livre et autour de Pip, son personnage principal.

Sur fond de Londres dickensien, Matilda et ses amis découvriront le bien et le mal. De grandes espérances est un roman d'initiation, et eux aussi apprendront à distinguer entre les ennemis et les amis, entre la fidelité et la vengeance. Dolores, la mère de Matilda, étant très chrétienne, verra d'un mauvais oeil ce vaste roman où le Malin a toujours son mot à dire. On dirait que la foi de Dolores a chassé le père de Matilda, parti chercher fortune en Australie.

Les adultes du village de Matilda viendront, eux, raconter leurs histoires, leurs connaissances, leurs versions des Grandes espérances. Finalement, ce roman traite la concurrence et de l'interférence des grandes histoires qui nous forment et qui parlent pour nous.

Hélas, la guerre civile aura le dernier mot. Les gens de cette île tropicale seront les jouets des deux factions en guerre, comme c'est le cas dans tous les conflits. Ils ont entendu parler de Mr. Pip, et maintenant ces soldats improvisés veulent sa peau. Frustrés, car c'est un être imaginaire, ils s'en prennent au petit peuple.

C'est suite à ces conflits - je m'empêche de trop vous en dire - que Matilda se retrouvera dans le vaste monde. Elle aura l'occasion de tomber sur la vraie version du roman de Dickens, qui est bien différente de l'histoire que Mr. Watts racontait à sa classe. Matilda est déçue, oui, mais pas pour longtemps. Car elle est devenue une lectrice, et le monde est à elle.

Mister Pip

Lloyd Jones traduit par Valérie Bourgeois Michel Lafon, 258 pages, 24,95$.