Décliné en quatre tomes, Quatre filles et un jean est un phénomène littéraire auprès de la gent adolescente. Dix ans après avoir publié le premier volet de cette histoire d'amitié au féminin, Ann Brashares a décidé de retourner voir ce que sont devenues Tibby, Lena, Carmen et Bridget. Conversation amicale.

Elles sont apparues dans le paysage littéraire adolescent au tournant du millénaire. Quatre filles nées à quelques jours d'intervalle, amies de toujours pour toujours, partageant tout - même un jean magique qui allait à chacune d'elles, même si elles n'étaient pas faites dans le même moule. Un jean magique qu'elles ont perdu lors de leur quatrième aventure, parue en 2007. Longue pause, donc, pour les héroïnes de la série Quatre filles et un jean, qui nous reviennent dans Pour toujours. Car elles n'ont jamais cessé de vivre dans la tête de celle qui leur a donné vie, Ann Brashares.

«J'ai toujours su que je reviendrais un jour à elles, mais je voulais essayer autre chose, créer d'autres univers, d'autres personnages. J'avais besoin d'une pause d'elles. Et elles avaient besoin d'une pause de moi», dit en riant la romancière, jointe au téléphone chez elle, à New York. Mais Tibby, Lena, Carmen et Bridget n'étaient en éclipse que sur les étagères des librairies. Dans la tête d'Ann Brashares, elles ont continué à vieillir, à évoluer, à changer. L'auteure a toutefois attendu de vraiment s'ennuyer d'elles et du sentiment qu'elle ressent quand elle écrit à leur sujet avant de reprendre le collier.

Et quand cela s'est produit, le quatuor que l'on a découvert adolescent flirtait avec la trentaine. Ça arrive, même aux meilleures. Tibby vit en Australie et écrit des scénarios. Carmen est actrice à New York. Lena est professeure d'arts plastiques dans une école du Rhode Island. Bridget est... Bridget, allant de petit boulot en petit boulot à San Francisco. Elles n'ont pas rompu le contact, mais elles se voient peu. Plus, en fait. Jusqu'au jour où les trois dernières reçoivent une invitation surprise de la part de Tibby: elle les convie toutes en Grèce, dans la maison des grands-parents de Lena.

Retrouvailles et drame en vue

Dans les Quatre filles ou dans ses autres oeuvres, Ann Brashares, dont la voix chante la vie et la bonne humeur au bout du fil, a toujours laissé flotter le spectre noir de la mort sur ses fictions. «Nous comprenons plus la vie à travers la mort. Ceux que nous aimons, les choses pour lesquelles nous nous tenons debout, ce que nous sommes, tout cela se redécouvrent lorsqu'on fait face à la mort.»

Elle savait donc, en se mettant à l'écriture de Pour toujours, qu'un personnage important allait mourir, que les filles allaient traverser un deuil. Elle ignorait que les passages concernant cette mort seraient aussi difficiles à écrire - «Je les ai sautés, j'ai écrit le reste et je suis revenue après au drame. Je l'ai écrit avec l'impression d'être dans un trou noir» -, mais elle refusait d'imaginer une simple histoire de retrouvailles. «Il fallait qu'elles vivent un événement assez important pour les pousser à réaligner leur vie. C'est la raison même pour laquelle j'ai écrit ce livre: je sentais qu'elles avaient besoin de moi pour sortir d'une sorte de léthargie. Elles valaient mieux que ce où je sentais qu'elles se trouvaient.»

Ann Brashares a donc fait ce que ferait toute bonne mère: elle a secoué ses rejetons engourdis. D'abord en prenant des notes, des tas de notes. Puis, une fois l'idée couchée sur papier, en relisant les premiers romans. Enfin, en écoutant très bien, très fort, en elle, pour retrouver la voix des quatre filles devenues femmes. «Ce n'est pas venu instantanément, mais cela s'est fait plus rapidement que je ne l'espérais.»

Peut-être parce que, par une étrange coïncidence, la romancière a appris qu'elle était enceinte pendant qu'elle créait ce cinquième tome... alors qu'elle avait commencé le premier lors de sa première grossesse. «Il y a là une étrange symétrie», dit celle qui n'a pas fermé la porte à un retour dans l'univers des filles au jean magique. Après tout, qui dit porte dit possibilité d'ouvrir. Si quelqu'un frappe.

Quatre filles et un jean, pour toujours

Ann Brashares

Gallimard, 422 pages