On a vu beaucoup de films américains dans la sélection du Festival de Cannes cette année. Seulement du côté de la compétition officielle, on en comptait cinq: Moonrise Kingdom, Lawless, Killing Them Softly, The Paperboy, Mud. Et l'on ne parle pas encore de toutes ces productions anglo-saxonnes, Cosmopolis et On the Road, par exemple, qui, sans être financées majoritairement aux États-Unis, font appel à des stars hollywoodiennes.

Le Festival de Cannes se nourrissant de la crème de la production mondiale, il est évidemment normal que le pays dont la culture irradie l'ensemble de la planète (certains diraient plutôt qu'elle la «contamine») soit dignement représenté. D'autant qu'on y trouve toujours là-bas de très grands cinéastes, qui parviennent à imposer leur vision artistique malgré les lois implacables du marché. Terrence Malick, réalisateur de The Tree of Life, n'a-t-il pas obtenu la Palme d'or l'an dernier?

Va pour les films forts, originaux, qui sortent des sentiers battus. Après tout, la raison d'être d'un grand festival de cinéma est de célébrer les visions d'auteurs. Les créateurs trouvent là un havre où seules les valeurs artistiques de leurs oeuvres sont prises en compte, loin des logiques comptables et des tiroirs-caisses qui les accompagnent.

Le 65e Festival de Cannes étant maintenant chose du passé, une constatation s'impose. La compétition officielle «s'américanise» de plus en plus. Et pas seulement sur le plan géographique. Sur le plan formel aussi. Interrogé par La Presse à ce sujet il y a peu, le délégué général Thierry Frémaux, dont les choix sont souverains depuis maintenant cinq ans, avait évoqué le possible «augure d'un nouveau cycle pour le cinéma américain qui viendra combler le fossé qui sépare le «petit» cinéma indépendant et le «gros» cinéma de superproductions des studios».

Hum...

À la lumière de ce qu'on a vu à Cannes cette année, cette perspective n'a rien de très réjouissant. Car si «combler le fossé» veut dire programmer des productions estimables, mais prévisibles, qui répondent aux standards du cinéma hollywoodien, il y a tout lieu de s'inquiéter pour l'avenir de la cinéphilie. Sur les cinq films américains sélectionnés en compétition, quatre abordaient des thèmes similaires. Fusils, armes en tous genres et meurtres sanglants semblent constituer les seuls outils dramatiques avec lesquels les cinéastes veulent travailler au pays de l'oncle Sam. Ils en glorifient l'usage à un point où l'on ne peut que s'inquiéter de cette fascination collective. Mentalité de Far West et machisme à la clé. Il est indéniable que l'absence de réalisatrices dans la compétition, dénoncée par une association féministe au début du Festival, s'est cruellement fait sentir.

Lawless (John Hillcoat) est probablement le cas le plus exemplaire. Ce film de gangsters d'époque, calqué sur les 10 000 autres que compte l'histoire du cinéma, illustre bien cette orientation, désormais cautionnée par le Festival. Aucune invention, sinon une certaine virtuosité dans la mise en scène, mais de la violence explicite en surabondance. Autrement dit, rien ne démarque ce film, dont la distribution sera assurée par The Weinstein Company, de toutes ces productions qui échouent dans nos complexes multisalles à coeur d'année. On nous répondra que des oeuvres plus radicales prennent le contrepied de ces films plus convenus. Soit. Souhaitons quand même ne pas voir cette fâcheuse tendance se transformer en vraie dérive au cours des prochaines années.

En ne primant aucune de ces productions, le jury, présidé par Nanni Moretti, a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme.

«Je ne suis pas contre le glamour, mais dans des films qui me plaisent», a-t-il dit en conférence de presse, après l'annonce du palmarès. «Je ne souscris pas au mythe du film à petit budget, mais si on avait aussi cherché du côté des productions indépendantes, on aurait peut-être trouvé des films moins léchés, moins patinés, plus bruts, plus authentiques.»

Comment dit-on camouflet en italien?

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