Aux dernières nouvelles, Bully n'avait pas encore amassé 20 000$ aux guichets sur le territoire québécois. 18 400$ selon les chiffres fournis hier par le distributeur. Seulement trois copies ont été exploitées. Dans les faits, à peine 1500 personnes, peut-être un peu plus, ont vu ce documentaire de Lee Hirsch dont le sujet est l'intimidation en milieu scolaire. Après toutes les discussions engendrées en amont avant la sortie du film, ce score est plutôt décevant. Et révélateur d'une difficulté supplémentaire qu'ont à surmonter les artisans de documentaires à caractère social, surtout quand ceux-ci empruntent davantage la forme d'un reportage.

Dérapages

Dérapages, le document-choc de Paul Arcand sur la vitesse au volant, à l'affiche aujourd'hui, devrait en principe connaître un meilleur sort. Outre l'importante campagne de promotion orchestrée pour l'occasion, la notoriété du populaire animateur est indéniablement un atout. D'autant que la société Alliance Vivafilm, celle-là même qui distribue aussi Bully en nos terres, y met le paquet en proposant Dérapages dans un circuit d'une soixantaine de salles. D'un point de vue strictement commercial, le pari est risqué.

Dieu merci, l'impact d'un documentaire ne se mesure pas seulement au nombre de ses entrées en salle. N'empêche qu'il y a lieu de se demander si la filière cinématographique constitue la meilleure des stratégies pour ce genre de production. À une heure de grande écoute sur une chaîne généraliste, Dérapages rejoindrait probablement en une seule diffusion plus de spectateurs qu'il n'en atteindra jamais en salle, même s'il reste trois mois à l'affiche. Le débat de société pourrait ainsi être lancé véritablement.

L'approche cinématographique appelle habituellement aussi une réflexion plus large à partir d'un enjeu précis. Or, Bully et Dérapages n'ont pas cette ambition. Ces documents posent des constats. Nécessaires, certes, même souvent douloureux, mais auxquels il manque pourtant un aspect fondamental: le contexte médiatique et social.

Il est en effet étrange que ces documents exposant des problèmes liés aux jeunes, l'intimidation dans un cas, les kamikazes du volant dans l'autre, n'interpellent en rien le rôle des adultes. Peut-être est-ce parce que les réponses seraient trop difficiles à entendre. Car enfin, les intimidateurs précoces prennent bien leurs modèles quelque part. Les jeunes hommes gonflés de testostérone aussi. Les possibilités de transgressions étant pratiquement devenues inexistantes de nos jours, leur besoin de filer à tombeau ouvert sur les routes comme s'il s'agissait d'un sport extrême constitue peut-être pour eux le seul moyen de se sentir - ironie du sort - vivants.

Pulsions morbides

Se pourrait-il que le monde qu'on leur propose ait quelque chose à voir avec leurs pulsions morbides? Se pourrait-il aussi que les émissions qu'ils regardent à la télé, les films qu'ils voient, les jeux vidéos auxquels ils s'abreuvent, bref, toute la culture médiatique dans laquelle nous baignons soit un facteur non négligeable? Il faudrait franchement être aveugle pour ne pas croire que la façon dont les rapports humains s'expriment désormais partout ne contribue en rien au désenchantement ambiant. Il y a bien entendu les téléréalités de pacotille, où la «poupoune» et son «douchebag» apprennent à manoeuvrer de façon mesquine à grands coups de «j't'aime babe» et de borborygmes sous-titrés pour arriver à leurs fins, mais pas seulement. Nos discours politiques, nos échanges sur les médias sociaux et sur les blogues, nos agressions et insultes en tous genres en guise de moyens de communication ne sont guère édifiants. La polarisation idéologique, où plus aucune discussion rationnelle et sensée n'est possible, ne fait de surcroît qu'attiser le feu. Comment blâmer ceux qui en sont à leurs premiers pas dans la vie quand leurs modèles adultes sont infréquentables? On attend le film qui osera apostropher directement notre propre responsabilité collective à cet égard.

Une semaine de Palmes d'or!

Le 65e Festival de Cannes approche à grands pas. Pour marquer le coup, Télé-Québec présentera pendant sept soirs consécutifs un film lauréat de la Palme d'or. Du 14 au 20 mai, les cinéphiles auront l'occasion de voir ou revoir de grands films comme Le guépard de Luchino Visconti (1963), Le tambour de Volker Schlöndorff (1980), Un homme et une femme de Claude Lelouch (1966), de même que des lauréats plus récents comme L'enfant de Luc et Jean-Pierre Dardenne (2005), 4 mois, 3 semaines et 2 jours de Cristian Mungiu (2007), Entre les murs de Laurent Cantet (2008), sans oublier le remarquable film de Michael Haneke Le ruban blanc (2009). Assurez-vous de dégager assez d'espace sur votre enregistreur numérique personnel!

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