Le cinéma québécois s'est ouvert sur le monde. Voilà qui est bien. Le très beau film Rebelle, qui gagnera nos salles vendredi prochain, est pratiquement le premier film de fiction entièrement conçu par des artisans de chez nous, dont le récit n'a strictement aucun lien - pas même de loin - avec notre petit bout de terre enneigée. «On ne devrait pas se sentir prisonnier de sa propre culture pour élaborer un propos», a déclaré l'auteur cinéaste Kim Nguyen dans une entrevue qui sera publiée dans nos pages demain. Il a mille fois raison. Avant tout, un cinéaste a le devoir d'offrir une vision du monde à laquelle le spectateur, peu importe son origine, peut se confronter. S'il s'avère que l'histoire à raconter prend corps dans une réalité venue d'ailleurs, la proposition ne peut qu'enrichir notre propre regard.

Le collègue Georges Privet a toutefois jeté un pavé dans la mare récemment avec une réflexion aussi pertinente que troublante. Dans un texte publié sur son blogue La Jetée, Privet s'interroge sur l'absence quasi totale dans notre cinématographie nationale de thèmes évoquant notre propre réalité sociale et politique.

«Depuis plusieurs années déjà, regarder les nouvelles, c'est voir tout ce que le cinéma québécois ne montre plus», écrit celui qui a dû revoir quantité de films produits ici pendant la préparation de l'excellente série documentaire Cinéma québécois (maintenant disponible en DVD). La phrase est dure. Et d'autant plus cinglante qu'elle est lancée à l'aune d'une actualité qui, ces temps-ci, est en pleine ébullition.

L'auteur emprunte plusieurs pistes pour expliquer ce désintérêt notoire des cinéastes québécois - il y a quelques exceptions bien sûr - envers des enjeux locaux plus sensibles. Il évoque en outre la notion d'autocensure: «Une censure qui s'est déplacée des institutions aux producteurs, de l'idéologie au commerce, favorisant les projets qui risquent de passer à ceux qui risquent de ne pas passer. Et comme les gens préfèrent que leurs affaires passent, ils ont généralement tendance à passer ce qu'ils ont à dire en contrebande.»

Vrai que dans un système comme le nôtre, les créateurs préféreront sans doute sortir de leur tiroir le projet qui risque de mieux séduire les bailleurs de fonds. Même si, contrairement à une certaine époque (combien de «films du Plateau» dans la foulée d'Eldorado?), on cherche maintenant à favoriser une certaine diversité, il reste que le cinéma pamphlétaire à la Laurentie est toujours relégué à la marge. Comme le souligne Georges Privet, on préférera parler de nous «en creux, par la bande, à coups de métaphores ou en prenant des détours, via ce qui est clairement le sujet obsédant des films québécois des douze derniers mois: notre rapport à l'autre.»

On loue avec raison la maturité d'une cinématographie qui a connu une croissance exceptionnelle au cours de la dernière décennie. Osera-t-on un jour poser de nouveau un regard franc sur nous-mêmes dans nos films? Et faire écho plein cadre à ce qui définit notre identité au XXIe siècle sans obligatoirement chercher un consensus? Que voilà une perspective passionnante.

La culture assiégée

«Quand tout tombe, il reste la culture». Jamais on ne pourra oublier cette phrase que Dany Laferrière a lancée au lendemain du séisme en Haïti. On ne peut s'empêcher de ramener ce cri du coeur à notre mémoire au moment où le financement public de la culture est sérieusement mis à mal dans ce pays, gracieuseté du gouvernement Harper. En plus de 73 emplois, l'Office national du film doit mettre fin aux opérations de sa CinéRobothèque de la rue Saint-Denis (et la très belle salle qui s'y trouve), tout autant que celles de sa Médiathèque de la rue St. John à Toronto (sacrifice d'une autre très belle salle). Une ponction de 10,6 millions de dollars sera par ailleurs faite dans le budget de Téléfilm Canada au cours des trois prochaines années; 10% du budget total. L'organisme doit, entre autres choses, réduire carrément de moitié le montant - déjà maigre - alloué pour l'aide au long métrage documentaire. Le milieu du cinéma se contentait déjà de pinottes; il devra maintenant se battre pour s'en partager les écales. Quelle sera la prochaine étape? Des critères idéologiques guidant la sélection de projets dignes de financement peut-être? À ce stade, plus rien ne nous surprend.

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