«J'ai adoré The Artist! C'était tellement formidable de voir enfin des Français se taire!» Au lendemain du triomphe du film muet de Michel Hazanavicius aux Oscars, Joan Rivers y allait de ses vacheries habituelles à The Fashion Police, une émission diffusée sur le réseau E! Elle ne fut pas la première à faire cette blague, pensez bien. Quand il n'est pas tributaire du sentiment de nostalgie qu'il provoque, le cinéma français rime habituellement avec logorrhée et intellectualisme bon teint. Partout dans le monde, spécialement aux États-Unis, cette réputation est tenace.

Au Québec, nous avons longtemps été nourris de films français. Ce n'est plus vraiment le cas maintenant. Et il semble bien que la nature de nos liens affectifs avec les cousins ne soit plus tout à fait la même. Dans le sondage CROP - La Presse publié dans nos pages la semaine dernière, 73% des personnes interrogées disaient préférer le cinéma américain et 22%, les films québécois. Seulement 6% d'entre elles affichaient une préférence pour le cinéma français. Évidemment, on peut préférer l'un tout en appréciant les autres. Mais le fait est que le modèle standard, c'est-à-dire celui qui servira de point de comparaison, est clairement hollywoodien.

À l'aune de cette statistique, la marge de manoeuvre pour les autres cinématographies reste plutôt mince. Le cinéma français, qui a connu une année exceptionnelle sur son propre territoire en 2011, a le grand avantage de pouvoir encore s'appuyer sur une production abondante. Pour rayonner dans le monde, y compris chez nous désormais, il doit toutefois correspondre à l'idée que le spectateur étranger se fait d'un film tourné dans la langue de Molière.

Aux États-Unis et ailleurs, les films de langue française les plus appréciés - The Artist est évidemment un cas à part - font souvent écho à des références du passé, ou mettent en vedette des icônes du cinéma. À cet égard, Catherine Deneuve reste toujours la plus grande ambassadrice du cinéma hexagonal.

Public absent

Il se trouve qu'à la lumière des difficultés qu'éprouve le cinéma français en nos terres depuis quelques années, on peut conclure à l'expansion de ce phénomène dans notre territoire. Les films contemporains produits dans la patrie de Truffaut, dont les têtes d'affiche sont des stars issues des nouvelles générations, ont désormais du mal à trouver un public chez nous. La plus récente victime de ce triste constat a pour titre Polisse. Cet excellent film de Maïwenn, qui a attiré plus de deux millions de spectateurs en France, n'a finalement intéressé qu'une poignée de cinéphiles au Québec. Sorti le 2 mars, Polisse n'avait même pas encore généré 100 000 dollars de recettes dimanche. Pour un film de cette qualité, c'est franchement peu.

Bien sûr, on dira que le sujet - des policiers chargés des dossiers relatifs à la maltraitance des enfants sous toutes ses formes - a de quoi rebuter. Il est vrai qu'il faut avoir le coeur bien accroché. Mais au-delà de ce cas de figure, on ne peut s'empêcher de constater le rétrécissement progressif du créneau qu'occupe le cinéma français au Québec. D'un côté, les grandes comédies populaires conservent la cote. Intouchables (sortie le 13 avril) devrait en principe connaître une belle carrière chez nous. De l'autre, les drames «à la française» fabriqués autour de valeurs sûres. Entre les deux, point de salut.

Avec des recettes d'un peu plus de 300 000 dollars (chiffres fournis par la firme Cinéac), La fille du puisatier, un film «à l'ancienne» dont la tête d'affiche est Daniel Auteuil, reste à ce jour le plus grand succès venu de l'Hexagone en 2012. Et pourtant, on a mis en circulation cinq copies de moins que pour Polisse!

Le phénomène n'aurait rien d'inquiétant s'il ne témoignait pas d'une difficulté qu'a le cinéma français de renouveler son public. Or, les films évoquant une réalité plus contemporaine semblent désormais avoir du mal à se faire remarquer. Le fossé culturel serait-il en train de se creuser davantage? Ce serait franchement dommage.

Du Dolan

En commentant la bande-annonce de Laurence Anyways, présentée hier en primeur sur lapresse.ca, un internaute s'est demandé si Xavier Dolan ne serait pas en train de devenir le Pedro Almodóvar québécois. Il est vrai que le jeune cinéaste, pressenti pour une sélection au Festival de Cannes, affiche un sens esthétique hors du commun. Et privilégie visiblement les émotions flamboyantes. Mais on dira que c'est du Dolan. Rien d'autre.

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