Dans les cercles cinéphiles, les Oscars ne jouissent pas d'une très grande crédibilité. Généralement, on estime que les membres de l'Académie défendent une conception du cinéma aussi ringarde que leur cérémonie, et peinent à reconnaître la valeur artistique d'une oeuvre. Ou même le vrai talent des cinéastes. Michel Hazanavicius devant Terrence Malick, Martin Scorsese et Woody Allen? Tom Hooper devant David Fincher ou Darren Aronofsky? Aux yeux des «purs et durs», ça ne fait pas très sérieux. L'Académie se fait accuser d'élitisme (la pire tare à notre époque) par le grand public d'un côté, et de populisme de bas étage par les cinéphiles de l'autre.

Les cotes d'écoute engendrées par la diffusion de la cérémonie ayant été légèrement en hausse cette fois (39,3 millions de spectateurs aux États-Unis plutôt que 37,9 l'an dernier, soit une augmentation de 4%), l'Académie n'en est pas au bout de ses peines pour autant. Le journaliste Tim Goodman, critique télé au Hollywood Reporter, suggère même aux bonzes de pratiquement jeter à la poubelle tout ce qu'ils ont fait depuis 40 ans. Et de tout reprendre à zéro.

Or, l'aura entourant la précieuse statuette dorée reste intacte. Elle constitue d'ailleurs l'atout majeur de l'Académie. Même si la liste des nominations comporte toujours des anomalies, voire des oublis scandaleux parfois, même si les films doivent souvent répondre à un certain «profil» pour avoir droit aux égards, et même si les lauréats ne font pas toujours l'unanimité, les Oscars trônent encore souverains dans l'imaginaire collectif planétaire.

Dans la hiérarchie des grandes manifestations cinématographiques de l'année, les cinéphiles du monde entier placeront toujours le Festival de Cannes au sommet. Cela va de soi. Mais l'impact d'un prix obtenu sur la Croisette - très prestigieux - se ressentira surtout à l'intérieur de leurs cercles. Pour tout dire, l'événement cannois lui-même fait davantage partie de la mythologie culturelle que les lauréats qu'il célèbre. Mais à Hollywood, ceux qui ont un jour la chance de mettre le grappin sur un Oscar obtiennent d'office leur ticket d'entrée pour le cénacle du star-système haut de gamme.

Il suffit simplement d'aller se promener un peu sur YouTube pour en avoir la preuve. On y trouve en effet des scènes croquées cette semaine à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, au moment du retour triomphal de Jean Dujardin à la maison. Le même Jean Dujardin qui, au mois de mai l'an dernier, a pu rentrer chez lui bien peinard, son prix d'interprétation du Festival de Cannes sous le bras, sans être importuné par qui que ce soit.

Mardi, c'était autre chose. Le héros était attendu par une meute de journalistes et de photographes qui se sont agglutinés autour de lui, causant ainsi une foire d'empoigne à la française pour le moins divertissante. Et ils ont crié leurs questions - forcément édifiantes - pour essayer de se faire entendre. Le principal intéressé leur a répondu au milieu de la bousculade, Oscar à la main, avec l'irrésistible sourire d'OSS 117.

- Jean! Jean! Quel bronzage!

- C'est pas le bronzage, c'est la chaleur. Tu ne vois pas que tu m'étouffes?

- Jean! Jean! T'as tout, Jean! T'as tout gagné! Qu'est-ce qui va se passer maintenant?

- Je rentre chez moi, je vais manger, dormir, faire des choses simples...

- Et faire l'amour?

- Et répondre à des questions stupides!

Le pauvre a dû, dans cette cohue, se frayer péniblement un chemin vers la sortie sous haute escorte policière.

Pourquoi tout ce cirque? Un mot: Oscar. Qui ramène inévitablement la question du rayonnement. Et du besoin viscéral d'exister dans le regard d'un «plus grand que soi». L'acteur a eu beau collectionner les lauriers un peu partout, de Cannes à Londres en passant par tous ces endroits où des associations professionnelles ont remis des prix, le sacre hollywoodien vient surclasser tous les autres. On célèbre en France le triomphe de The Artist aux Oscars comme une victoire des Bleus en Coupe du Monde. C'est compréhensible. D'autant qu'il s'agit ici d'une première. Aucun film étranger entièrement produit par un pays non anglophone n'avait jamais obtenu les plus prestigieuses statuettes jusqu'à maintenant. Si jamais un film québécois obtenait les mêmes honneurs que The Artist, il y a fort à parier que nous succomberions tous à la même frénésie.

Tant que l'objet Oscar aura une aussi grande valeur symbolique dans l'esprit des gens, particulièrement à l'extérieur des frontières américaines, l'Académie peut dormir tranquille.

Pour joindre notre journaliste: mlussier@lapresse.ca