On se croirait de retour à l'âge de pierre. À une ère où le cerveau humain était assez développé pour assurer la cueillette des petits fruits. Mais pas assez pour faire preuve de discernement.

Lundi en fin d'après-midi, une animatrice de la chaîne télévisée Sun News - la «Fox du Nord» - s'est penchée sur le financement du candidat canadien à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau.

À son émission Canada Live, Krista Erickson anime une chronique qui s'appelle The Waste Report. C'est en effet bon pour la corbeille à déchets. Mme Erickson y distille périodiquement, avec une rare mauvaise foi (ou une absence flagrante d'acuité intellectuelle, on ne saurait dire), tous les préjugés possibles sur le financement public des arts au Canada.

Il s'agit d'une marotte de cette animatrice anciennement de la CBC, qui s'afficherait clairement à droite si elle avait la capacité neuronale de distinguer son oeil gauche de son oreille droite. Oui, oui, il s'agit de la même Krista Erickson qui avait accueilli à son antenne, avec tout son mépris et sa condescendance, la chorégraphe et danseuse québécoise Margie Gillis, en juin dernier. Pour lui reprocher d'être une artiste qui touche des subventions. Scandale.

Le Conseil canadien des normes de la radiotélévision, qui a reçu 6676 plaintes à ce sujet, a récemment statué que cette entrevue indigne des ondes était «acceptable» et que «le débat était adéquatement équilibré»... Et certains osent s'inquiéter de l'avenir du journalisme?

Depuis quelque temps, Krista Erickson s'intéresse à l'argent investi dans Monsieur Lazhar. Lundi, trop contente d'avoir fait cette incroyable découverte (les montants sont publics et accessibles à un enfant de 7 ans sachant taper les lettres G-O-O-G-L-E), la «journaliste d'enquête» s'est insurgée contre ce prétendu gaspillage de fonds publics en s'appuyant sur une entrevue avec Gregory Thomas, de la Canadian Taxpayers Federation (Fédération canadienne des contribuables).

«Les Canadiens seront-ils contents d'apprendre ce que cette nomination aux Oscars leur a coûté? Je n'en suis pas sûre», a-t-elle demandé et aussitôt répondu. En ajoutant, en faisant une moue de poupée mécontente: «Est-ce que quelqu'un est allé à la banque pour demander un prêt, ce que nous ferions tous si nous voulions faire un film?»

Est-il possible que Krista Erickson ne sache pas que presque TOUS les films produits au Canada existent grâce au soutien d'organismes publics? Et qu'il n'y aurait plus de cinéma, ni d'ailleurs de danse, de musique, de théâtre et même de télévision (ça pourrait faire réfléchir même Mme Erickson?) s'il n'y avait pas, au pays, un système de soutien à la culture?

Voyant avec quel sérieux elle se renseigne et avec quelle probité intellectuelle elle mène ses entrevues, je suis tenté de répondre que oui, c'est possible. Cette dame n'a pas l'air de savoir grand-chose. Elle ne sait pas que les retombées de l'industrie du cinéma se calculent en centaines de millions chaque année au Canada. Sinon, elle ne poserait pas une question aussi bête que celle-ci: «Qu'en retirent les contribuables?»

Je m'abstiendrai de parler de rayonnement culturel, un concept visiblement trop abstrait et complexe pour cette championne de la démagogie. Quand ta conception de la culture se limite à la logique comptable d'un fabricant d'aspirateurs, il est probable que tu n'apprécies pas toutes les nuances d'un film comme Le vendeur.

Cela dit, à la décharge de Krista Erickson, elle n'est pas la seule à proposer son inculture crasse comme modèle de société au pays de Stephen Harper. Son invité, Gregory Thomas, s'est aussi demandé pourquoi le gouvernement devrait investir dans l'industrie du cinéma. «La vaste majorité des Canadiens seraient horrifiés s'ils savaient qu'ils étaient des participants involontaires (de ce système)», croit-il. Évidemment.

Comme si toutes ces inepties n'étaient pas suffisantes, Krista Erickson en a rajouté une couche mercredi, à l'émission de son confrère Brian Lilley, en incitant les téléspectateurs à reprocher directement (numéro de téléphone à l'appui) aux producteurs de Monsieur Lazhar, Luc Déry et Kim McCraw de micro_scope, de se rendre aux Oscars, un film réalisé avec des deniers publics sous le bras. En parlant de ces producteurs montréalais - également derrière le succès d'Incendies l'an dernier (excusez du peu) - comme de voleurs voulant se mettre de l'argent plein les poches.

Si Krista Erickson savait autre chose que le numéro de couleur de sa teinture, elle saurait qu'elle a choisi le pire exemple possible pour étayer sa thèse du gaspillage de fonds publics. Monsieur Lazhar, dont le budget de 3,7 millions reste modeste même selon les critères du cinéma québécois et canadien, a réalisé des recettes aux guichets inespérées pour un film d'auteur (plus 2 millions). Il risque même, grâce à son rayonnement international et à sa présence aux Oscars, de faire ses frais, ce qui est extrêmement rare.

Si les producteurs de Monsieur Lazhar avaient surtout voulu faire des profits, ils n'auraient pas choisi un film inspiré d'une pièce de théâtre, mettant en vedette un acteur maghrébin inconnu au Québec. Ils auraient fait un film sur le hockey.

Pourquoi d'ailleurs Mme Erickson s'acharne-t-elle sur Monsieur Lazhar et pas sur Goon, un film canadien qui a coûté plus de trois fois plus cher à produire et qui ne risque pas de se retrouver de sitôt aux Oscars (même si son humour politiquement incorrect m'a beaucoup fait rire)?

Serait-ce que Monsieur Lazhar est un film francophone, réalisé au Québec? M'est avis que si un film anglo-canadien réalisé à Winnipeg était en lice pour un Oscar, les journalistes de Sun News seraient les premiers à brandir l'unifolié de la fierté patriotique en lui souhaitant la meilleure des chances. Mais comme toujours, s'agissant du Québec, tous les coups au bas du corps sont permis.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca