À 11h, hier matin, Denis Côté s'est pointé avec ses six pieds et ses tatouages plein les bras à la salle 6 du Cinémax, pour la première représentation de Bestiaire, un film de 70 minutes tourné au Parc Safari, sans scénario ni paroles ni musique, mais avec des plans qui durent une ou deux minutes chacun. Sachant que la première projection de presse pour Les adieux à la reine, le film d'ouverture de la Berlinale, avait lieu presque en même temps dans la salle voisine, le cinéaste de 38 ans s'attendait à ce que deux pelés et trois tondus se déplacent pour son film. Surprise! Il y avait environ 80 professionnels et cinéphiles dans la salle, sans doute des inconditionnels de la section Forum, la section des têtes chercheuses où Bestiaire sera présenté à cinq autres reprises.

Deux heures après la projection, Côté recevait une invitation pour présenter le film dans un festival de Melbourne, portant à 17 le nombre d'invitations dans les festivals que Bestiaire a récolté pour le début de 2012 seulement, sans oublier l'invitation à ouvrir les Rendez-vous du cinéma québécois la semaine prochaine. Pas mal pour un petit film qui a pu se réaliser grâce à une subvention de 40 000$ du Conseil des arts et des lettres du Québec, et sans l'appui financier de la SODEQ ni de Téléfilm Canada, deux institutions qui vont pourtant, chacune de leur côté, célébrer Bestiaire à Berlin.

«C'est sûr qu'il y a toujours un petit malaise entre moi et les institutions. C'est pas de ma faute ni de la leur. Ils ne m'ont pas donné d'argent pour la bonne et simple raison que je n'en ai pas demandé. Je savais très bien que je ne pouvais pas me présenter devant eux sans scénario, alors j'ai fait mes petites affaires dans mon coin. Le résultat, c'est que je suis le petit baveux qui arrive à Berlin avec ses autruches et ses girafes, sans avoir rien demandé à personne. Et bien franchement, ça me plaît», dit celui qui a quand même obtenu du financement de la SODEQ pour son prochain long métrage, Vic et Flo ont vu un ours, avec Pierrette Robitaille.

Le gars des festivals

Pas vraiment connu du grand public québécois, ce qui le désole un peu, Denis Côté est celui que le milieu appelle le gars des festivals. «Ça m'achale un peu. En même temps, je n'y peux rien. Je passe ma vie dans les festivals, notamment parce que je sais ce que les festivals cherchent: pas des bons films avec des histoires classiques. Ils cherchent des nouvelles formes, des nouveaux langages qui racontent les choses autrement.»

Denis Côté connaît tellement la chanson et la recette que l'an passé, avec le long métrage Curling qui a fait un maigre box-office de 45 000$ au Québec, il a été invité dans 67 festivals. Ça, c'est sans compter les deux rétrospectives qui ont été consacrées à ses films en Israël et en Russie, et son poste de professeur invité à l'école de Fresnoy, poste qu'il partage cette année avec nul autre que Benoît Jacquot.

Quant à Bestiaire, qu'il qualifie de film muséal et d'expérience esthétique et sonore qui questionne le spectateur sur son rapport aux animaux, il est encore trop tôt pour mesurer son effet à Berlin. Chose certaine, le petit baveux et ses autruches n'ont pas fini de faire parler d'eux. Du moins dans les festivals.