Philippe Torreton fait revivre sur grand écran le véritable calvaire d'Alain Marécaux, un homme faussement accusé de crimes pédophiles.

Pire cauchemar ne pourrait exister. Imaginez qu'un beau matin, les flics se présentent à votre porte pour vous mettre en état d'arrestation. Avec la rage de ceux qui, sans procès, vous traitent déjà de sale ordure. On vous accuse de crimes très graves. Des actes horribles de pédophilie. Que vous n'avez jamais commis. Treize autres personnes, parmi lesquelles votre propre femme, sont aussi accusées. Mais les soi-disant preuves recueillies sur vous sont encore plus accablantes que les autres. On vous jette en prison. Vous y resterez quelques années. Jusqu'à ce qu'on reconnaisse enfin votre innocence.

Ce calvaire est vraiment arrivé à Alain Marécaux il y a un peu plus de 10 ans. Cet homme, huissier de profession, a été victime d'une épouvantable erreur judiciaire.

«L'affaire d'Outreau» avait évidemment fait grand bruit à l'époque dans les médias français. À la publication de l'ouvrage Chronique de mon erreur judiciaire, un journal qu'Alain Marécaux a tenu pendant son incarcération, le cinéaste Vincent Garenq (Comme les autres) a eu l'idée de tirer un long métrage relatant cette histoire.

Philippe Torreton, dont le rôle le plus célèbre au cinéma reste celui du Capitaine Conan (Bertrand Tavernier, 1996), propose dans Présumé coupable une composition marquante. En se glissant dans la peau de l'homme faussement accusé, l'acteur reconnaît avoir vécu une expérience très particulière.

«Bien entendu, j'avais entendu parler de cette histoire à l'époque, confie-t-il au cours d'une entrevue accordée à Paris. N'étant pas très friand des nouvelles judiciaires, je ne connaissais pas vraiment l'enchaînement des faits, ni toute l'absurdité kafkaïenne de cette affaire. Quand j'ai lu le scénario du film, j'ai été bouleversé. Comment une justice peut-elle s'aveugler à ce point? En principe, son rôle est de traquer la vérité. Or, on s'est aperçu à travers cette affaire que la justice n'avait point besoin de vérité pour fonctionner. Cette histoire prouve qu'elle répond parfois à sa propre logique interne.»

Un modèle brisé

Pour écrire son scénario, Vincent Garenq a tenu à consulter Alain Marécaux. Cette démarche a tout de suite mis Philippe Torreton en confiance. L'acteur a aussi dû s'investir grandement sur le plan physique. Le faux accusé ayant un temps fait une grève de la faim pour tenter de faire entendre raison à ses geôliers, une perte de poids importante fut requise pour faire écho à cet épisode douloureux.

«Au départ, j'ai cru pouvoir m'appuyer sur Alain pour trouver la vérité du personnage, explique l'acteur. Quand je l'ai rencontré, j'ai pourtant vite compris qu'il ne valait mieux pas. J'ai dû m'émanciper très rapidement de lui à cause du chagrin qui le submerge encore. Dès qu'il commence à évoquer son histoire, Alain ne peut retenir ses larmes. On a brisé à jamais la vie de cet homme. Il est une plaie vivante. Et le restera probablement jusqu'à sa mort. J'ai préféré me référer au scénario plutôt que de m'immiscer de façon impudique dans la vie de celui que je devais incarner à l'écran. En fait, le plus beau cadeau qu'Alain m'a fait a été de valider le scénario. J'ai pu m'investir à fond dans l'aventure en sachant que l'homme à qui cette histoire est réellement arrivée estimait que son drame était dépeint de façon crédible dans le script. Et même en deçà de la réalité nous a-t-il dit.»

Pour la première fois de sa riche carrière, Philippe Torreton s'est ainsi retrouvé en état d'isolement pendant un tournage, privé de l'esprit de troupe qui anime habituellement les équipes.

«Comme je suivais un régime alimentaire très radical - j'ai perdu 27 kilos -, je ne pouvais aller rejoindre les autres à la cantine, rappelle-t-il. Tout le monde a été très compréhensif, mais, étrangement, la gentillesse dont ils faisaient tous preuve à mon égard accentuait encore davantage l'impression d'isolement et d'injustice permanente. Peut-être est-ce paradoxal, mais je peux quand même dire que j'ai été heureux sur ce film. Je suis ravi qu'on m'ait proposé ce rôle.»

Pertinence sociale

Philippe Torreton, qui joue beaucoup au théâtre - il campe notamment Hamlet ces jours-ci en tournée -, loue la pertinence sociale d'un film comme Présumé coupable.

«Pour un acteur, un rôle comme celui-là fait grandir. Je fais pourtant peu de choses dans cette histoire, car le personnage est toujours ballotté. Il subit tout ce qui lui arrive. Mais j'ai quand même eu l'impression de trouver en moi des choses que je ne soupçonnais pas. Le plaisir de l'acteur n'est pas vraiment dans l'action; il est plutôt dans l'anticipation et le recul. Pas au moment où il fait les choses.»

L'acteur estime par ailleurs que l'affaire d'Outreau est très symbolique de l'époque dans laquelle on vit.

«L'enfance fut tellement maltraitée pendant des siècles que la société a maintenant tendance à compenser en faisant de la déclaration d'un enfant une parole d'évangile, observe-t-il. Comme s'il était impossible qu'un enfant puisse mentir et fabriquer de toutes pièces des accusations aussi graves. Or, un enfant qui ment est aussi une victime. Parce qu'il peut se servir du mensonge pour se protéger des adultes qui l'entourent. C'est ce que la justice n'a pas compris dans ce cas-là.»

Présumé coupable prend l'affiche le 27 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.