L'appréciation d'une oeuvre tient à peu de choses. À des détails parfois. Et cette appréciation a autant à voir avec la qualité objective d'une oeuvre qu'à notre rapport aux détails qui la composent. Je m'explique, pour ne pas sembler trop ésotérique.

J'ai, comme bien des gens, des obsessions liées à mon appréciation de livres, de chansons, de films ou de pièces de théâtre. Je dirais presque que ce sont des TOC (troubles obsessifs compulsifs). Le niveau de langage, par exemple, m'obsède. Dans une oeuvre qui prétend à une forme de réalisme, par exemple, j'accepte mal que le niveau de langage ne soit pas crédible.

J'ai lu pendant les vacances un roman dont la narratrice, une fille de 13 ans habitant un quartier populaire de Montréal, semble en avoir 17 et venir d'une famille aisée d'Outremont. Ses références, ses expressions, sa façon de s'exprimer, rien ne m'a semblé vraisemblable. Malgré toutes les qualités du roman, je n'ai pas pu faire abstraction de ce détail, qui a teinté, et pas pour le mieux, mon expérience de lecture.

Au théâtre, le moindre couac dans le jeu d'un acteur, même dans un second rôle, peut me faire décrocher. Le risque est toujours plus grand sur scène. C'est pourquoi j'apprécie beaucoup que le jeu des acteurs, de tous les acteurs, soit à la hauteur du texte d'une pièce comme HA ha!... de Ducharme, montée avec brio récemment par Dominic Champagne au TNM.

Le cinéma permet, de toutes sortes de manières, de corriger certaines lacunes dans le jeu. La direction d'acteurs sert à faire ce genre d'ajustements, à assurer une cohérence d'ensemble, les nombreuses prises aidant forcément. Sans oublier le montage, dont on ne soupçonne pas tout le potentiel de gommage miraculeux.

Il y a, malheureusement, des choses qui ne se rattrapent pas. Et qui peuvent irriter un spectateur au point de gâcher une oeuvre pour lui.

Dans le nouveau film de David Cronenberg, A Dangerous Method, à propos du célèbre psychiatre suisse Carl Jung et de sa jeune maîtresse russe Sabina Spielrein, la comédienne Keira Knightley est particulièrement mauvaise.

De son accent russe affecté à ses intonations erratiques (pour la différencier des autres personnages germanophones, qui parlent l'anglais avec un accent britannique...), en passant par ses rictus ridicules, ses yeux constamment exorbités et les soubresauts exagérés de ses épaules. Elle a beau incarner une patiente masochiste en crise d'hystérie (qui deviendra plus tard psychiatre), il y a des limites à l'esbroufe.

Dans un manuel de jeu pour les nuls, la prestation de Keira Knightley serait classée sous le mot «subtilité»... dans les antonymes. C'est une caricature avant la caricature. Pensez à Marc Labrèche faisant une imitation de Jean-Luc Mongrain en camisole de force, victime d'un vicieux traitement de chatouilles d'André Sauvé.

L'actrice britannique détonne d'autant plus dans le rôle de cette disciple de Sigmund Freud que les comédiens qui l'entourent, Viggo Mortensen (Freud), Michael Fassbender (Jung) et Vincent Cassel (dans le rôle d'Otto Gross, un psychanalyste névrosé que traite Jung), sont tous excellents.

C'est embêtant. Surtout que A Dangerous Method n'est pas un mauvais film. Même s'il n'évite pas l'écueil de vouloir résumer un pan d'histoire, intime et universelle, en quelques dialogues surchargés (ainsi que l'essence de la psychanalyse, les fondements de la psychologie analytique et les raisons de la scission, dont on rend ici Sabina Spielrein responsable, entre Freud et Jung; alouette!).

Vaste programme, trop vaste sans doute, qui a au moins le mérite de nous intéresser aux balbutiements et aux doutes entourant le fameux «traitement expérimental» de Sigmund Freud, que Carl Jung, son plus célèbre collaborateur, attiré par la mystique, considérait trop inflexible dans ses théories sur la sexualité.

En sortant de la projection, je ne me suis pas demandé si j'étais davantage freudien ou jungien. Je me suis demandé si Keira Knigthley avait été mal dirigée ou si elle était une actrice médiocre. Repenser rapidement à Bend It Like Beckham, Atonement, Love Actually, Pride and Prejudice ou Pirates of the Carribean m'a offert quelques éléments de réponse.

Conclusion: Keira Knigthley est excellente dans les pubs de parfum. Vraiment très bonne.