Avec Inch'Allah, son nouveau film, jamais la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette n'avait abordé une histoire aussi proche de la sienne. Une expérience vertigineuse, reconnaît-elle. La Presse l'a rencontrée à Amman, en Jordanie.

Dans une récente entrevue, le réalisateur hongrois Béla Tarr (Le cheval de Turin) affirmait: «Il me semble que le rôle de l'artiste est de réagir, car l'art naît de la résistance, pas de l'acceptation.»

La citation colle parfaitement à la réalisatrice québécoise Anaïs Barbeau-Lavalette. Car la jeune femme, cinéaste, scénariste, auteure et mère, qui défend avec fougue l'idée qu'il est possible de travailler et d'avoir un enfant en bas âge, nourrit son quotidien de la résilience humaine sous toutes ses formes.

Comme dans Le ring, sa première fiction, la résistance est au coeur de son nouveau long métrage Inch'Allah, produit par micro_scope et dont le tournage se termine cette semaine au Moyen-Orient. Pour la réalisatrice, qui est allée six fois en Palestine et en Israël, ce coin du monde a quelque chose d'attirant et d'irrésistible dans ce fait d'être constamment sur la corde raide. Et dans la capacité des Palestiniens à se relever encore et toujours.

«On se tient et on tombe. Mais on résiste, dit la réalisatrice. Il y a quelque chose de ce feu qui m'inspire. J'ai vu des gens mourir et le lendemain, leurs proches étaient debout. Pas en pleurant, mais en criant. Ils gardent la tête haute. Ce qui est tragique est quand l'histoire vient à bout d'un peuple qui n'a plus la force de crier.»

À travers Chloé (Évelyne Brochu), obstétricienne québécoise oeuvrant dans un camp palestinien de Cisjordanie, Inch'Allah raconte le parcours d'une femme rencontrant la guerre et les humains qui la subissent. Chloé est au sommet d'un singulier triangle d'amitié en compagnie de Rand (Sabrina Ouazani), une Palestinienne désoeuvrée enceinte de son premier enfant, et Ava (Sivan Levy), militaire israélienne travaillant au poste de contrôle de Qalandiya, à Jérusalem-Est.

»Proche de moi»

«Je crois que cette guerre, comme la plupart des conflits, est née et s'est perpétuée par la non-rencontre, dit la réalisatrice. L'un et l'autre se connaissent uniquement à travers leurs présences aux check points dans des situations de tension extrême. Mais des deux côtés, j'ai souvent entendu des réflexions telles Si on pouvait seulement s'asseoir et se parler. Ces gens ont le goût de se rencontrer, mais le contexte fait que c'est impossible.»

Dans ses oeuvres précédentes, Barbeau-Lavalette a toujours mis les enfants à l'avant-plan. C'est moins le cas ici. Un défi supplémentaire?

«C'est vrai que je me sens super bien à diriger des enfants, répond-elle. Donc, oui, c'était un peu fragilisant de me lancer dans une direction où les trois personnages principaux sont des femmes. Mais le plus difficile était de raconter quelque chose émotivement beaucoup plus proche de moi. Auparavant, j'ai fait des films sur des choses que j'avais côtoyées de près, mais qui ne m'appartenaient pas. Là, on est davantage dans quelque chose qui m'a appartenu. Plus que jamais, j'ai un souci quant à la justesse du récit et l'authenticité du jeu, parce que certains des événements me sont passés dans le corps.»

Reste que l'enfance est encore présente dans Inch'Allah, notamment à travers Safi, un petit garçon qui résiste à sa façon, plus poétique, à la guerre. «Il représente la respiration nécessaire à l'espoir et à la survie», dit la cinéaste.

Nous voilà revenus au thème de la résistance, si chère à Anaïs Barbeau-Lavalette. «Il y a quelque chose de viscéral, d'intérieur qui ne me donne pas le droit d'arrêter de participer au monde, dit-elle. Ce n'est pas lourd à porter. Au contraire, ça me fait sentir vivante. Tout ce qui va dans le sens de la vie m'inspire.»

À lire samedi dans le cahier Cinéma, notre reportage sur le tournage du film Inch'Allah.

Les frais de ce reportage ont été payés par Les films Christal et Séville/eOne.