Ils ont annoncé leurs couleurs dès le Festival de Cannes. En obtenant les droits de distribution pour l'Amérique du Nord de The Artist de Michel Hazanavicius, en mai dernier, les frères Harvey et Bob Weinstein ont déclaré que ce film français, muet, en noir et blanc, mettant en vedette des acteurs inconnus aux États-Unis (Jean Dujardin et Bérénice Bejo), se retrouverait à la prochaine soirée des Oscars.

Le défi était de taille. Les frères Weinstein, codirigeants de la Weinstein Company et champions toutes catégories du lobbying pré-Oscars depuis leur règne chez Miramax, semblent en voie de remporter leur pari. Lorsque ces deux-là misent - à coup de plusieurs millions - sur un cheval, ce n'est pas pour rien. On compte notamment parmi leurs films oscarisés The English Patient, Chicago et The King's Speech.

Mardi, The Artist a remporté les prix du meilleur film et de la meilleure réalisation de l'année du prestigieux New York Film Critics Circle (NYFCC). L'influente association de critiques new-yorkaise a devancé de quelques semaines le dévoilement de ses lauréats cette année, afin que ses choix ne soient plus noyés dans la déferlante de remises de prix annuelles d'autres organismes, au cours des prochaines semaines.

Il s'agit seulement de la cinquième fois qu'un film étranger est ainsi plébiscité par les critiques new-yorkais, après Z de Costa-Gavras en 1969, Cris et chuchotements de Bergman en 1972, La nuit américaine de Truffaut en 1973 et Amarcord de Fellini en 1974. The Artist est en bonne compagnie.

Comme les dialogues, pour la plupart silencieux, de The Artist sont en anglais, le film de Michel Hazanavicius (OSS 117) ne se qualifie pas aux États-Unis pour un prix du meilleur film étranger. C'est le remarquable Une séparation de l'Iranien Asghar Farhadi qui a d'ailleurs été sacré meilleur film étranger par le NYFCC, juste devant Incendies de Denis Villeneuve (et La peau que j'habite de Pedro Almodovar).

Les choix du New York Film Critics Circle donneront d'une manière ou d'une autre le ton à la saison des remises de prix qui s'amorce. Même s'ils ne sont pas un indicateur fiable de ceux de l'Académie des Arts et des Sciences du cinéma, qui remettra ses fameux Oscars le 26 février.

Depuis 27 ans, seulement cinq longs métrages choisis meilleur film de l'année par le NYFCC ont été couronnés de la même façon par l'Académie hollywoodienne (le dernier étant The Hurt Locker de Kathryn Bigelow en 2010). Mais quantité d'autres lauréats de l'association de critiques, qui compte une trentaine de membres, se sont retrouvés parmi les finalistes des Oscars.

Les critiques new-yorkais ne sont du reste pas les seuls à être tombés sous le charme de cet audacieux hommage au cinéma hollywoodien des années 20 et 30. Jeudi, c'était au tour du National Board of Review (NBR), un autre organisme influent formé de cinéastes, cinéphiles, professeurs et étudiants de cinéma, de choisir The Artist parmi ses 10 meilleurs films de l'année (aux côtés de Hugo de Martin Scorsese, le préféré du NBR).

L'histoire du destin croisé de George Valentin (Dujardin), star du muet qui souffre de l'arrivée du cinéma parlant, et de Peppy Miller, figurante qui prend sa place au firmament hollywoodien, a séduit la critique internationale depuis sa présentation à Cannes l'été dernier.

Le début de carrière de The Artist aux États-Unis, où la critique est tout aussi conquise, permet les plus grands espoirs aux frères Weinstein, qui demeurent convaincus que le film saura intéresser un vaste public, malgré les «inconvénients» du noir et blanc, de l'absence de dialogues parlés et de vedettes connues.

Harvey Weinstein s'est vanté récemment à la presse française d'avoir fait découvrir ce «bijou» au président Barack Obama. «Je n'ai pas le droit de vous dire ce qu'il en a pensé» a-t-il ajouté, mi-figue, mi-raisin.

On ne s'étonnera pas trop de voir Hollywood embrasser un film qui célèbre une de ses époques les plus glorieuses. Mais le nouveau favori des preneurs aux livres dans la course aux Oscars - devant The Descendants d'Alexander Payne et War Horse de Steven Spielberg - est aussi en tête (avec Take Shelter de Jeff Nichols) des nominations aux Independant Spirit Awards, les «Oscars» du cinéma indépendant américain, annoncées mercredi.

Dire comme tout le monde est conquis. Et pour cause. The Artist, qui prend l'affiche chez nous vendredi, est un merveilleux film. Un condensé de nostalgie doublé d'un pastiche anachronique, à la fois comique, ingénieux et poétique. Une idée de cinéma fort originale, qui devrait faire de Jean Dujardin, excellent, la nouvelle coqueluche française à Hollywood. Je ne serais pas étonné de le retrouver parmi les finalistes à l'Oscar du meilleur acteur.

J'ai croisé l'interprète de Brice de Nice dans deux soirées, en septembre, au Festival de Toronto. Malgré son Prix d'interprétation masculine récolté quelques mois plus tôt à Cannes, la star française passait presque incognito. J'ai pu discuter avec lui de l'accueil de The Artist dans les festivals nord-américains et des efforts des frères Weinstein pour le faire connaître des électeurs des Oscars, sans que l'on ne soit dérangé par le moindre admirateur ou paparazzi. Cela ne risque plus trop d'arriver.

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