Ses propos ont rapidement été relayés dans tous les recoins du cyberespace. Non, je ne parle pas de ceux de Brett Ratner, qui fut congédié de son poste de producteur de la soirée des Oscars pour cause «d'épaisseur». Comme le soulignait hier un collègue torontois sur Twitter, les mots Oscars et Ratner dans une même phrase sont antinomiques de toute façon. Non. Je parle plutôt ici de ceux de Ron Meyer, le grand patron des studios Universal.

Récemment, au cours d'une allocution au Festival du film de Savannah, le vétéran nabab, qui compte une cinquantaine d'années d'expérience dans l'usine à rêves, y est allé de déclarations étonnantes. Il a candidement expliqué la nature d'un système dans lequel les grands studios sont condamnés à viser d'abord et avant tout le plus bas dénominateur commun. Rien de très surprenant ici. «C'est bien de produire des films dont on peut être fiers, qui obtiennent des prix et qui rapportent de l'argent, a-t-il déclaré. Mais notre but principal est de faire de l'argent d'abord, et de nous préoccuper de notre fierté ensuite.»

Surtout, Meyer a reconnu qu'il a produit «beaucoup de films de merde». «Cela me fend le coeur», a-t-il ajouté. Et de citer notamment TheWolfman, navet emblématique de tout ce qui ne tourne plus rond à ses yeux.

Les grands studios appartenant à des conglomérats dont les dirigeants ne connaissent habituellement rien au cinéma, il n'est guère étonnant que le souci de la rentabilité prime largement sur le reste. Sauf rares exceptions, la notion de qualité artistique est depuis longtemps évacuée des productions de routine hollywoodiennes. Désormais, il vaut mieux être actionnaire que spectateur pour y trouver son compte.

L'obsession mercantile a tellement pris le dessus que Meyer ne croit plus possible la mise en place, à l'intérieur du système des studios, d'un film comme A Beautiful Mind, dernier lauréat de l'Oscar du meilleur film portant la bannière Universal.

Hollywood constitue évidemment un cas à part, mais les écueils qu'a évoqués Ron Meyer au cours de sa conférence trouvent aussi un écho ailleurs. En France, notamment. Au cours d'une interview qu'il m'accordait cette semaine, Patrice Leconte racontait à quel point il fallait rester vigilant à cet égard.

«Le fameux discours du «c'était mieux avant» est obligatoirement un discours de vieux con, reconnaît-il. Mais il est évident qu'aujourd'hui, il est plus difficile d'arriver à faire des films originaux. Les télés étant grandement impliquées dans la production cinématographique, elles nous poussent à formater les trucs. Heureusement que des oeuvres comme Polisse, The Artist ou La guerre est déclarée existent encore. Mais ça devient de plus en plus difficile. Aujourd'hui, on ne me laisserait probablement pas tourner Le mari de la coiffeuse ni La fille sur le pont.»

Le réalisateur de Ridicule attribue aussi cet état de fait au nombre croissant de films produits. «Chez nous, il se fabrique maintenant entre 220 et 240 longs métrages par an. J'ai presque envie de dire que c'est trop. Mais je n'ai pas le droit. Parce que si je le dis, cela sous-entend que certains films ne devraient pas voir le jour. Et je ne veux évidemment pas que les miens écopent! Mais j'estime quand même qu'on sort trop de films mal produits, et tournés n'importe comment. L'autre jour, à la sortie d'une très mauvaise comédie, j'ai entendu des gens dire qu'on ne les reprendrait plus. «On n'est pas près de revoir un film français de sitôt!», qu'ils se disaient. C'était comme si on m'avait planté un couteau dans le coeur!»

En France, et encore davantage au Québec, l'obligation de qualité est d'autant plus grande qu'elle porte aussi le poids de l'identité nationale. Les Hollywoodiens auront beau continuer à produire «beaucoup de films de merde», ils ne seront pourtant jamais menacés d'un «plus jamais» à la sortie d'une salle de cinéma. C'est profondément injuste, mais c'est comme ça.

mlussier@lapresse.ca