Il avait déjà la même verve, le même bagout, la même détermination. Il devait avoir 17 ans. Je l'ai rencontré au cinéma. Cela va de soi. Une amie me l'a présenté en ajoutant: «Il est scénariste». J'ai souri. À cet âge, qui ne l'est pas, au moins un peu dans sa tête.

Je me souviens que nous avions marché un moment ensemble en sortant du Quartier Latin. Il m'avait parlé de films qu'il avait adorés ou détestés, de Woody Allen qui vieillissait mal à son avis. C'est à peine si j'avais pu placer une phrase dans la conversation. Petit bout d'homme nerveux et verbomoteur au vocabulaire étrangement châtié. Un ovni hors du temps. Une méchante bibitte, que j'avais pensé.

Sans que je sache qu'il s'agissait du même garçon, dans l'année qui a suivi, Suzanne Clément et Anne Dorval m'ont parlé de lui. La première pour me dire qu'elle avait un ami de 18 ans, une vieille âme, avec qui elle avait fait la fête toute la nuit au Festival de Toronto. La deuxième pour me dire qu'elle avait refusé plusieurs propositions afin de tourner un long métrage avec un jeune prodige qui n'avait jamais encore touché à une caméra. Elles avaient toutes deux été séduites par le scénario ingénieux de ce cinéaste adolescent, intitulé J'ai tué ma mère.

Quand j'ai su que Xavier Dolan était ce même «p'tit gars» que je croisais parfois au cinéma, et que son film venait d'être sélectionné au Festival de Cannes, je me suis dit qu'il y avait des «scénaristes» qui l'étaient plus que d'autres. Et quand, sur la Croisette, j'ai constaté que J'ai tué ma mère était devenu «l'événement» de la Quinzaine des réalisateurs, je m'en suis voulu d'avoir douté, le temps d'un sourire, de ce garçon aussi brillant qu'ambitieux.

Lorsque je l'ai interviewé au printemps 2009, quelques semaines avant son baptême cannois, il me parlait déjà de son prochain film, Laurence Anyways. Je savais depuis peu qu'il y en avait eu un premier. Il avait 19 ans.

«Mon deuxième film est prêt, qu'il m'avait dit. Il intéresse déjà des gens. Il y a moins d'humour que dans J'ai tué ma mère. C'est un drame; un duel d'acteurs entre un Français et une Québécoise. Je n'ai pas peur de la comparaison. Si le film est mauvais, il n'ira évidemment pas à Cannes. Mais au moins, j'ai désormais une entrée à Cannes...»

Mercredi, j'ai retrouvé Xavier Dolan dans un restaurant du Mile End. À 22 ans, il a pris de l'assurance. Il sait encore davantage ce qu'il veut et ce qu'il ne veut pas. Dans la vie comme au cinéma. Mais c'est le même garçon qui n'a pas froid aux yeux, soigne ses tournures de phrases, ne s'excuse pas de son ambition et répond gentiment aux gens qui l'abordent dans la rue.

Il m'a répété pratiquement la même chose qu'il y a deux ans et demi, à propos de Laurence Anyways, dont il termine en ce moment le tournage. «C'est sûr que j'y pense, à Cannes. C'est intéressant de bâtir une relation avec les gens. Mais cette relation ne garantit aucun privilège. Si le film est mauvais, il n'ira pas à Cannes. C'est tout.»

En raison du succès de ses films précédents (tous deux candidats au César du meilleur film étranger), Laurence Anyways est très attendu, et pas seulement par les sélectionneurs du Festival de Cannes. C'est un film ambitieux, coproduit par la France, dont le budget risque de dépasser les 8 millions de dollars.

Le cinéaste n'en ressent pas de pression particulière. «Sinon la pression quotidienne de finir la journée selon l'horaire prévu, dit-il. Mon seul stress est lié aux coûts. On a un gros budget, mais on a aussi l'équivalent de deux films à tourner. C'est un scénario fleuve, qui raconte la vie d'un personnage sur 12 ans.»

Le montage, qu'il réalise seul, est déjà bien entamé. Ce film, il l'a en tête depuis le deuxième jour de tournage de J'ai tué ma mère. Comme son montage financier a été plus complexe et les délais plus longs que prévu, il a dû prendre son mal en patience. Ce qui lui a permis entre-temps de tourner Les amours imaginaires, scénarisé en très peu de temps au cours d'un road trip aux États-Unis.

«Les amours imaginaires était un petit exercice de style, qui avait le mandat de raconter des histoires d'amour superficielles. Laurence Anyways, ce n'est pas du tout ça. C'est l'histoire d'un homme qui doit choisir entre vivre ou aimer une femme. Parce qu'il est une femme dans un corps d'homme. C'est un film sur l'amour, et sur le regard que la société porte sur les gens différents.»

Il a beau être en plein tournage, Xavier Dolan trouve le temps de jongler avec plusieurs autres projets, dont une adaptation au théâtre, un rôle principal en anglais dans une coproduction canado-britannique, une adaptation pour le cinéma américain d'un roman à succès, et son quatrième film, Lettre à un jeune acteur.

«Le film m'habite beaucoup ces jours-ci. Je sais que c'est précoce, mais c'est ma réflexion sur le cinéma. Parce que je ne veux pas écrire n'importe quoi et que c'est ce que je connais le plus.»

Dolan fait aussi de l'oeil à la télévision et a proposé à Radio-Canada une série, Les gens ordinaires, avec Anne Dorval, d'après son tout premier scénario, écrit il y a huit ans, en anglais. «C'était très, très, très mauvais, dit-il en riant. Je voulais que Susan Sarandon joue le rôle principal. Toujours dans cette optique de l'ambition démesurée! Je l'ai ressorti. Je l'ai retravaillé. C'est en développement. Je ne sais pas si ça va se faire...»

Je ne parierais plus sur le contraire.

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