Pour l'homme de théâtre qu'est Xavier Durringer, le phénomène de société au coeur de La conquête, et la «starification» de la classe politique qui en découle, emprunte les allures d'un drame shakespearien.

«C'est l'histoire d'un homme qui gagne le pouvoir et perd sa femme». Telle est la phrase choc résumant l'essentiel de La conquête, l'un des premiers drames biographiques de l'histoire du cinéma à aborder de front la vie d'un chef d'État encore en exercice, Nicolas Sarkozy en l'occurrence.

Le récit de cette conquête, écrit par le scénariste et éminent historien Patrick Rotman, s'attarde ainsi à décrire les cinq années précédant l'accession au pouvoir d'un homme doté d'un indéniable flair politique. Et dont la carrière fut notamment orchestrée par une femme qui, le soir de l'élection présidentielle, aurait voulu être n'importe où plutôt qu'à côté de son mari.

«Il y a aujourd'hui des parallèles évidents à tracer entre le monde politique et celui des acteurs, explique à La Presse le réalisateur Xavier Durringer au cours d'un entretien téléphonique. Les chefs d'État utilisent maintenant leurs talents de comédiens et mettent en scène leurs apparitions publiques. C'est devenu la norme. On voit Barack Obama faire du stand up lors d'un dîner de gala à Washington. Vladimir Poutine se fait toujours suivre par une caméra et mesure bien ses effets. Berlusconi utilise aussi beaucoup les médias, d'autant plus qu'il les contrôle! Nous sommes maintenant dans la starification de la classe politique. Nicolas Sarkozy a été l'un des premiers à s'exposer autant dans les médias.»

Pour l'homme de théâtre qu'est Xavier Durringer, ce phénomène de société donne bien entendu matière à réflexion. D'autant qu'avec l'arrivée des chaînes de nouvelles continues, du web, des médias sociaux et des appareils permettant de tout capter à n'importe quel moment, les politiciens se retrouvent constamment en représentation publique.

«Cet aspect-là m'a beaucoup intéressé quand on m'a approché pour assurer la réalisation de ce film, souligne Xavier Durringer. J'avais envie d'aller explorer un peu l'envers du décor et de jeter un oeil sur tous les jeux de coulisses. Quand ils se parlent à micro fermé, les politiciens utilisent un langage d'une violence et d'une crudité extraordinaires. On se tue avec des mots, à coup de rumeurs.»

Dans La conquête, deux «adversaires» de Nicolas Sarkozy se révèlent particulièrement féroces, malgré leur élégance du verbe: Dominique de Villepin bien sûr. Mais aussi Jacques Chirac.

Les vrais noms

La particularité de La conquête est aussi d'être un drame biographique où les vrais noms des personnes sont quand même utilisés. D'où le danger de faire d'un récit «fictif» une vérité relevant du documentaire dans l'esprit des spectateurs.

«Normalement, nous n'aurions pas eu le droit de faire ça, reconnaît Xavier Durringer. C'est-à-dire, prendre des comédiens pour leur faire jouer des personnages publics contemporains. En même temps, il nous fallait le faire afin que le récit reste crédible. Nicolas Sarkozy s'est tellement exposé dans les médias que nous disposions d'une quantité astronomique d'écrits, de livres, de documents visuels et sonores de toutes sortes. Tout ce qui est dans le film peut être appuyé par une source. Des cabinets d'avocats ont d'ailleurs passé le scénario au peigne fin.

«Cela dit, poursuit-il, j'étais bien conscient de la grande responsabilité morale qui pesait sur nos épaules. Cette responsabilité existe toujours quand on fait un film; mais encore davantage quand on met en scène des personnages existants. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu installer une distance un peu théâtrale dans le récit, que souligne d'ailleurs la trame musicale de Nicola Piovani.»

Un personnage shakespearien

D'abord prévu pour un acteur qui s'est désisté le jour où le projet a finalement obtenu le feu vert, le rôle du président de la République a été dévolu à Denis Podalydès. Qui n'a pas hésité à se glisser dans la peau de celui qui, aujourd'hui, dirige les destinées de la France.

«Denis a abordé le rôle comme s'il s'agissait d'un personnage shakespearien, fait remarquer le réalisateur. C'est-à-dire qu'il défend les qualités de son personnage tout autant que ses défauts. Il n'est jamais dans l'imitation ou la caricature; plutôt dans la vérité. Mis à part la coiffure, il n'y a d'ailleurs aucun artifice. Denis joue Sarkozy avec son propre physique.»

Au Festival de Cannes, où il a fait l'objet d'une présentation spéciale, le film était évidemment très attendu, autant par la presse cinématographique que politique. Or, La conquête fut complètement éclipsée par l'arrestation à New York de Dominique Strauss-Kahn quelques jours auparavant. La réalité se révélait encore plus délirante que la fiction.

«Ce fut énorme, complètement fou, rappelle le réalisateur. L'actualité n'était plus du tout sur le film. Un scénariste aurait imaginé l'histoire dans laquelle a été plongé DSK qu'il n'aurait même jamais osé l'écrire tellement c'est gros! Forcément, notre film en a un peu souffert, mais il a quand même suscité l'intérêt et il a attiré près de 700 000 spectateurs dans les salles. Il y a évidemment un danger quand on se lance dans un projet mettant en vedette un homme politique controversé. Ses admirateurs ne veulent pas voir le film parce qu'ils craignent un massacre; et ses détracteurs ne veulent pas le voir non plus parce qu'ils en ont déjà assez de le voir aux nouvelles!»

Xavier Durringer se défend toutefois de contribuer au cynisme ambiant envers la classe politique.

«Je n'ai pas fait ce film pour les mordus de la politique, mais plutôt pour les autres, prévient-il. Pas besoin non plus d'être très féru de politique française, dans la mesure où ce récit fait écho à un phénomène de starification de la politique, aujourd'hui très répandu partout dans le monde. En sortant de la projection, les spectateurs ont généralement envie de se regrouper et de discuter politique. Et c'est très bien!»

La conquête prend l'affiche le 9 septembre.